L’innovation n’occupe pas vraiment la place qui lui revient dans les débats qui encombrent aujourd’hui nos petits écrans et autres médias. C’est, pourtant, l’un des piliers sur lesquels il faudrait bâtir la Tunisie de demain.

Par Aya Chedi


L’Association tunisienne pour l’entrepreneuriat et l’essaimage (Atupee) a organisé, samedi à Tunis, son «Café Entreprendre» auquel ont été invités des représentants de l’administration d’un côté et des experts indépendants de l’autre.

Plus qu’un clivage entre l’université et l’entreprise

Il ressort des débats qu’il ne s’agit pas uniquement d’un clivage entre l’université et l’entreprise qui bloque l’esprit d’innovation dans nos murs, mais cet enclavement touche aussi et surtout les administrations et les corps de l’Etat, c’est-à-dire entre ceux dont la mission est de concevoir les moyens susceptibles de donner l’élan nécessaire à l’innovation, et ceux dont la mission est de la mettre en œuvre sur le terrain. Le «Café Entreprendre» a permis de voir de plus près l’approche qu’ont de la question l’Agence nationale de la promotion de la recherche scientifique (Anpr) et l’Agence nationale de la promotion de l’industrie et de l’innovation (Anpii).

Rezig Bahri, directeur général de l’Anpr a indiqué que la mission de l’agence qu’il dirige consiste essentiellement à «la valorisation des résultats de la recherche, l’objectif étant d’insérer le patrimoine national en intelligence dans le circuit économique », mais la tâche n’est pas aussi simple. Les objectifs sont en effet multiples et ambitieux. On veut que l’innovation émane de l’entreprise et soit ainsi plus proche de celui qui l’exploite. On veut aussi que cette innovation ait un impact sur le système national «étant donné que l’économie n’est plus nationale, alors que l’innovation l’est. L’innovation doit avoir le cachet culturel et spécifique de chaque pays, donc bien évidemment en Tunisie, ce qui favoriserait sa traduction en des projets selon les points forts et les points faibles du pays. Soit selon ses propres spécificités», indique M. Bahri. Et puis, continue le DG de l’Anpr, «le système national d’innovation doit représenter beaucoup plus qu’une simple constellation comportant les composantes et les mécanismes ; il doit peindre une amplification de capacités et de synergies». Une intervention des différentes composantes doit ainsi être le mot d’ordre. Car le système tunisien rassemble un ensemble de capacités et représente un socle de recherche et d’innovation, explique encore M. Bahri, «mais qui se limite dans la majorité des cas aux campus universitaires, et les ressources humaines composées essentiellement de diplômés de l’enseignement supérieur limitent leur effort à la recherche, sans que ça réussisse à gagner le vécu de l’entreprise».

Un système vigoureux de valorisation de la recherche

Le pays doit donc ainsi se doter d’un système vigoureux de valorisation, avec un «continuum d’outils susceptibles d’amener les résultats de recherches vers des fins économiques. La société tunisienne doit être capable non seulement d’utiliser la technologie produite par les autres, mais aussi de l’absorber dans le contexte de recherche et de développement national». C’est un principe capable de donner des ailes à la capacité entrepreneuriale qu’il faudrait inculquer aux Tunisiens dès le plus jeune âge. Vient ensuite le financement, à travers des montages adéquats, «car en Tunisie, l’argent existe, même s’il n’a jamais été facile de le dépenser au profit de ceux qui en ont vraiment besoin», indique aussi le directeur de l’Anpr.

A côté de tout cela, il faudrait remédier aux défaillances qui différencient la Tunisie de tout autre pays dans le monde. Afin d’instaurer un système d’innovation viable, il faudrait avoir une stratégie claire et anticiper ce qui va venir. Pour le faire, indique aussi l’invité du Café Entreprendre, «il faudrait réviser les règles et les normes administratives, un travail collaboratif, clarifier les statuts des corps de métiers et leurs structures, comme il faudrait accorder une moindre attention aux ‘‘sciences molles’’ afin de se doter d’une économie riche et diversifiée».

La liste des conditions est, en effet, longue. Ajoutons à cela une totale déconnexion entre le travail de cette agence et celui de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Apii), qui sombre dans le pur théorique et peine à donner le coup de pouce escompté aux entreprises. Il est vrai que le thème de l’«innovation» ne s’est ajouté aux missions de cette agence que depuis quelques mois, mais on trouve mal que seule l’Anpii soit capable de donner l’effet voulu de l’innovation au travail des entreprises et Pme qu’elle chapeaute.

Le Café Entreprendre a, en effet, réussi deux choses. Primo : soulever cette question de l’innovation, dans tous ses aspects de la vie économique nationale, et secundo : (démontrer que ce clivage existant entre les administrations responsables de l’exécution des projets en faits sur le terrain).

La problématique de l’innovation en Tunisie dépasse donc ce déphasage entre l’université et l’entreprise pour se manifester au sein même de l’administration tunisienne. Mais, il reste cependant très légitime de garder l’optimisme. Concevoir un système capable d’assister les structures publiques de recherche et en même temps valoriser les résultats sur le terrain, tout en tissant de meilleurs liens entre l’université et l’entreprise, avec en plus une anticipation des moyens et des besoins de la réalité économique, ne pourrait que favoriser l’entrepreneuriat et en même temps faciliter la création de Pme et générer des emplois. Tout ceci demeure, cependant, assez théorique avec l’absence de mécanismes de financement transparent, clairs et bien pensés !