A cause d’un sit-in observé depuis plus d’un mois par une trentaine d’employés de la Smcgc, les céréales en réserves risquent d’être endommagées. Une rupture de stock dans les quatre mois à venir n’est pas écartée.
Par Zohra Abid
Le sit-in qui a commencé le 3 octobre dernier sous la conduite de 4 employés de la Société mutuelle centrale des grandes cultures (Smcgc) et syndicalistes de l’Ugtt, aura sans aucun doute un impact, direct ou indirect, sur les réserves dans les silos de Jbel Jeloud et Manouba (les plus gros greniers du pays).
Selon des sources officielles au Smcgc, les protestataires sont même parvenus à empêcher l’Office des céréales d’alimenter les moulins. «Une chose qui va avoir des répercussions, directes et indirectes, sur le citoyen», indique la même source. Pourquoi ce sit-in ?
Tout cela pour une prime !
Selon Hakim Slama, ingénieur des travaux publics et membre du conseil d’administration de la société, il n’y a aucune raison valable qui justifierait un pareil agissement et à un pareil moment. Et il n’y a pas de quoi faire d’une graine une montagne.
«Ces employés réclament tout simplement des primes pour l’année 2009. Or, ces primes ne sont ni obligatoires ni encore légales, sachant que la société est déjà déficitaire», a dit M. Slama. Et de marteler : «La société vient d’enregistrer une perte de 17 milliards. Les primes sont de l’ordre de 1 milliard. Si l’entreprise est bénéficiaire, on pourrait les leur accorder. Mais ce n’est pas le cas. En plus, nous ne leur avons pas refusé complètement. Nous leur avons dit que ces primes sont pour le moment gelées en attendant des jours meilleurs», a dit à Kapitalis M. Slama. Et d’insister : «Une société accorde des primes quand elle est bénéficiaire, mais pas lorsqu’elle enregistre des pertes».
Selon notre interlocuteur, les choses se sont corsées au fil des jours et les protestataires sont passés à l’acte. «Nous avons été surpris de voir des gens avec des bâtons, l’un d’eux a garé sa voiture devant la bascule. Le conseil d’administration de cette société privée (constituée d’agriculteurs), qui travaille sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et celui des Finances, a décidé, le 29 octobre, de mettre à la porte ces personnes et de les poursuivre en justice pour qu’ils payent tous les dégâts. Nous avons porté plainte contre ces 4 personnes. Nous attendons», raconte M. Slama.
Saccage des bureaux et vandalisme
«Vu l’ampleur des actes de vandalisme et les menaces continues, nous avons décidé le 4 novembre de fermer le siège social et de mettre tout le monde en congé jusqu’au lundi prochain. Car, ce qui nous préoccupe, c’est la sécurité de nos fonctionnaires. Notre autre crainte : c’est que ces individus détruisent les archives de la société. Il nous faut peut-être davantage de protection. Nous avons pensé même à déménager et avoir un siège provisoire en attendant que les esprits se calment et que ces personnes retrouvent la raison», raconte encore M. Slama.Selon la même source, le calme n’est pas pour autant revenu. Les mêmes personnes ont attisé la colère des autres employés en allant jusqu’au 49 avenue Farhat Hachad, dans le centre-ville de Tunis, siège de l’administration centrale, enfonçant les portes, saccageant les bureaux, cassant des chaises et brisant des vitres.
Les réserves en céréales risquent de pourrir
A part cette atmosphère délétère, les inquiétudes de M. Slama portent sur le risque de voir les silos endommagés. Et il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Des céréales ont besoin d’entretien. Il faut faire face aux punaises, larves et mites alimentaires et autres insectes mangeurs de céréales, ainsi qu’aux rats. Surtout après les pluies et les inondations de la première semaine du mois courant.
«Rien qu’au silo de Manouba, il y a des stocks de 350.000 quintaux d’une valeur de 320 millions de dinars. Et que font les sit-iners ? Et bien, ils nous empêchent de faire la ventilation, qui urge surtout avec l’humidité et les céréales risquent de pourrir», a précisé l’ingénieur.
«Nous allons enregistrer encore des pertes dans les quantités de blé dur, de blé tendre et surtout de l’orge, une denrée très rare dans nos réserves.
Là, nous allons trop perdre, sans parler des amendes que l’Office des céréales pourraient nous infliger et qui s’élèveraient à 30.000 dinars par jour pour les deux silos de Jebel Jeloud et Manouba», s’inquiète encore M. Slama.
Avec le blocage de ces deux derniers, l’Office est en train de puiser dans le stock de blé emmagasiné dans les autres (petits) silos éparpillés sur tout le territoire. «Un stock qui ne tiendra pas plus de 4 mois si ceux de Jebel Jeloud et de la Manouba ne sont pas rouverts le plus tôt possible», indique un membre de la direction qui a manifesté son indignation face à de tels agissements : «Mais vous vous rendez-compte ? On risque de ne plus avoir de pain en Tunisie à cause du sit-in d’une poignée de personnes ? C’est incroyable !»
Après toutes les perturbations post-révolution, il ne manquerait aux Tunisiens que de manquer de blé pour faire leur pain !