Une jeune pilote tunisien formé en France témoigne des obstacles qui l’empêchent de trouver un poste dans une compagnie nationale. Et des pratiques douteuses dans le secteur de l’aviation civile en Tunisie.
Par Mehdi Ben Fredj
Chers Tunisiens, chères Tunisiennes, chers lecteurs, je vous remercie de l’intérêt que vous porterez à la lecture de cet article dont l’objet est une sensibilisation sur un cas concret afin de l’utiliser comme exemple pour permettre à notre pays d’avancer vers un avenir meilleur.
Je suis citoyen tunisien et issu d’une famille honnête et modeste, de confession musulmane et Allah m a donné la chance de pouvoir réaliser un rêve : celui de faire une formation de pilote de ligne en France.
Après de brillantes études scientifiques couronnées par une maîtrise de mathématiques et suivies de 2 ans d’enseignement des mathématiques dans le supérieur, j’ai pu démarrer une formation de pilote en France de septembre 2007 à octobre 2009.
Je suis rentré en Tunisie avec toutes les connaissances et le savoir, acquis à l’étranger, afin de les mettre au service de mon pays, celui des mes parents, le vôtre, le nôtre. J’ai alors réalisé que mon diplôme JAA de pilote de ligne n’était pas reconnu et qu’il me fallait refaire à nouveau toute la formation théorique et une grande partie de la formation pratique en Tunisie.
Pourtant, de par le passé, les pilotes tunisiens se formaient à l’étranger en quelques mois et étaient facilement recrutés par Tunisair ou Nouvelair avec moins de connaissances que celles que nous avons acquises aujourd’hui.
Une règlementation aux conséquences néfastes
J’ai alors commencé à étudier sérieusement la réglementation et j’ai compris qu’un ministre sous le régime de Ben Ali a voulu qu’un jour s’impose la réglementation de Juillet 2003. Cette réglementation a été vivement contestée par de nombreux spécialistes de l’aéronautique et elle l’est encore aujourd’hui. Elle est née de la volonté d’une minorité d’hommes et a eu des conséquences néfastes pour notre pays puisque aujourd’hui nos pilotes formés en Tunisie ont un niveau plus qu’insatisfaisant.
Dans une récente déclaration sur Shems Fm, le secrétaire général des syndicats des pilotes de ligne de Tunisair affirme avec souplesse que les pilotes d’aujourd’hui ne sont plus les bons pilotes tunisiens qui revenaient d’une formation à l’étranger. De plus, le directeur général actuel de l’aviation civile a participé à la rédaction de cette réglementation en la qualifiant lui-même d’aberration.
Les conséquences de cette réglementation sont graves : fermeture aux formations des pilotes tunisiens à l’étranger et seules les personnes titulaires d’un bac scientifique à dominante maths ou physiques ou bac technique peuvent prétendre faire une formation de pilote. Il faut également avoir un bac+2 scientifique à dominante maths ou physiques. Ce sont les conditions initiales et minimales pour avoir le droit d’effectuer une formation de pilote en Tunisie alors que dans le monde le bac n’est même pas exigé puisque la formation de pilote de ligne est à juste titre considérée comme une formation professionnelle de niveau bac+2 et qu’elle ne nécessite aucunement des connaissances scientifiques de niveau bac+2 mais uniquement de simples notions de produit en croix et de trigonométrie basique.
La majeure partie de la réglementation a été copiée sur les textes français aussi bien au niveau du contenu des cours théoriques que des cours pratiques. Les cadres de l’aviation civile ne se sont pas fatigués en recourant au copier/coller de la formation des pilotes en France non sans oublier d’y insérer des clauses à but discriminant.
Mais aujourd’hui lorsqu’un citoyen tunisien se forme en France et qu’il rentre au pays, alors un véritable calvaire l’attend. Il est amené à fréquenter le bureau des licences afin de demander un interlocuteur compétent pour comprendre les démarches à effectuer dans le but d’obtenir une licence de pilote tunisienne sur la base de sa licence étrangère. Mais personne ne semble être compétent pour l’aider et lui donner une démarche écrite officielle pour convertir sa licence.
Il n’est possible de postuler auprès des compagnies tunisiennes que si on est titulaire d’une licence tunisienne.
Des examens de pilotes en vente (presque) libre
Au lieu de faciliter les démarches aux citoyens tunisiens de retour au pays, l’aviation civile tunisienne lui oppose des dispositions règlementaires qui l’obligent à refaire pendant un an tous les modules théoriques afin d’obtenir le brevet théorique de pilote de ligne.
Pourquoi demander de refaire une formation en Tunisie identique à celle déjà effectuée en France d’autant plus que notre pays se contente de faire un plagiat des cours de l’Institut français Jean Mermoz et d’utiliser illégalement la base de données de questions utilisées en Europe.
De plus, il faut savoir que les examens de pilotes en Tunisie se vendent et c’est pour cette raison que dernièrement le taux de réussite des examens de pilote est passé de 98% à 0% depuis la découverte d’une preuve concrète de fuite d’examen, alors que nous savons tous, depuis de nombreuses années, que tout le monde triche et que la veille des examens tous les étudiants sans exception arrivent à se procurer les sujets d’examen, ce qui assure 100% de réussite aux élèves de l’Airline Flight Academy (Afa), école privée de formation de pilote, qui confond business et formation de qualité.
Une véritable organisation de trafic de vente de sujets existe depuis quelques années dont un gros vendeur, dont le nom est connu de tous dans le métier et qui roule dans une grosse berline noire. Cette personne profite de cette manne juteuse pour ne pas hésiter un instant à escroquer des gens en leur proposant des sujets pour un montant de 2.400 dinars et il leur explique qu’il a une connaissance au sein de l’Oaca qui lui fournit les sujets.
Un système de corruption généralisée
Finalement tout le monde est de mèche et tout le monde se complait dans un système de corruption généralisée qui permet au plus offrant de réussir. L’Afa réunit non sans surprise de nombreux étudiants qui ne sont pas à leur place puisqu’ils gaspillent l’argent de leur famille alors que l’aéronautique ne les intéresse même pas hormis le prestige du port de l’uniforme ou l’image sociale renvoyée par la déclaration : «Je suis pilote» ! Aujourd’hui on devient pilote pour faire beau.
Ce qui est triste et grave c’est que des cadres de l’aviation civile, parfaitement avertis des tricheries, ont laissé en place non seulement une réglementation qui pénalise des Tunisiens compétents formés dans des pays où ce genre de tricherie n’existe pas, mais aussi n’ont rien fait pour éradiquer cette corruption qui commence chez eux puisque la fuite provient de l’aviation civile étant donné que la préparation des examens est du ressort de l’aviation civile.
Aucun effort n’a été fait pour donner aux Tunisiens formés à l’étranger la chance de pouvoir bénéficier du droit absolu au travail et nous entendons toujours le même discours : «Désolé, c’est la réglementation et tu dois tout refaire». Nous sommes alors contraints de refaire une formation dans un climat de tricherie et de faux semblants au milieu de candidats qui ne comprennent rien à l’aviation mais font mine d’être des pilotes. Nous ne les méprisons pas mais nous ne prônons pas l’injustice et la triche. Un pilote se doit d’être un homme bon, correct et compétent. Il doit faire preuve aussi d’honnêteté intellectuelle.
Après l’obtention du brevet théorique de pilote, le président du jury des examens oblige le candidat à dépenser une fortune en recommençant à nouveau toute la formation pratique avion alors que, depuis le 5 mars 2011, le décret du 19 février 2010 permet aux citoyens tunisiens d’effectuer leur formation pratique dans un pays européen.
Pour quelle raison, les Tunisiens formés en France ne peuvent-ils pas faire reconnaitre leur formation pratique en Tunisie ! C’est encore une contradiction à laquelle ne répondront jamais les responsables que nous n’avons jamais pu rencontrer.
De plus, après avoir fait de grandes recherches sur la réglementation tunisienne, nous avons découvert des documents officiels publiés sur le Journal officiel du 23 mars 2010 qui expliquent que tout citoyen tunisien ayant effectué sa formation de pilote dans un pays membre de l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) peut obtenir une licence tunisienne pratique en passant seulement 2 examens en vol sans avoir à recommencer toute sa formation, lui épargnant ainsi 2 longues années supplémentaires de formation et de dépenses insurmontables. Nous avons, pour une partie d’entre nous, fait des prêts sur 20 ans ou vendu une maison ou des terrains pour financer nos études et nous ne sommes pas des enfants de riches mais nous vendons des biens qui ont été légués par nos ancêtres.
Pilotes de père en fils ?
Pourquoi cette loi nous a-t-elle été cachée ? A qui profite le système et pourquoi après le 14 Janvier alors que le peuple tunisien a manifesté sa volonté inébranlable de faire disparaitre cette honte sociale, des cadres de l’aviation civile persistent à ne pas écouter la voix de nombreux citoyens tunisiens honnêtes et compétents. Nous demandons le droit de pouvoir travailler à bord de nos avions. C’est un droit fondamental et absolu.
Mais au lieu de cela, nous apprenons, à travers nos investigations, que de nombreux enfants de commandants de bords ont réussi par des moyens obscurs et non réglementaires, à être recrutés, bénéficiant de certains privilèges. Le métier de pilote semble être devenu un métier héréditaire.
L’aviation civile a côtoyé de trop prêt le clientélisme et à fait du favoritisme son plat préféré puisque nous apprenons également qu’une liste, gardée secrète, de personnes ont obtenu des dérogations pour effectuer une formation de pilote de ligne alors qu’ils ne sont pas titulaires d’un bac scientifique comme l’impose la réglementation. Cette réglementation ne doit-elle pas être la même pour tous ?
Pourquoi l’aviation civile se donne-t-elle le droit le donner des dérogations pour permettre à des jeunes citoyens tunisiens de débuter une formation de pilote alors qu’elle refuse pertinemment de donner des dérogations à d’autres citoyens tunisiens qui ont effectué une formation de pilote de haut niveau en France ou ailleurs et qu’ils ne sont ni reconnus, ni écoutés ?
Nous apprenons également que certaines personnes bénéficiant de certains appuis sociaux ou financiers accèdent à des postes sans passer de sélection. Un commandant de bord reconnaitra le cas de son fils dans ces propos.
Actuellement Tunisair Express recrute 4 officiers pilotes de ligne et tous les Tunisiens formés en France ou ailleurs sont bloqués puisque Tunisair Express impose aux candidats d’être titulaires d’une licence tunisienne, qui n’a pas plus de valeur qu’une licence étrangère lorsque vous réalisez le niveau de formation que propose notre pays, plutôt faible.
Tunisair Express se défend en disant que c’est l’autorité de l’aviation civile qui décide des critères de recrutement et lorsque l’on se retourne vers l’aviation civile, on nous dit que la compagnie est libre de recruter qui elle souhaite et il est vrai que le plus troublant c’est que Tunisair, Nouvelair et Tunisair Express accordent à des pilotes étrangers de nationalité non tunisienne et titulaires des mêmes licences que nous, le privilège d’être aux commandes de leurs avions. Ils ne sont pas recrutés mais formés, disent-ils, pour se défendre mais l’idée est la même, à savoir que pendant que des pilotes tunisiens restent sur le carreau sans aide ni écoute, des pilotes tahitiens, par exemple, sont aux commandes de nos avions parce qu’ils ont payé une formation de 55.000 euros dont une partie revient à Monsieur C….., un homme aux pratiques peu scrupuleuses. Il a nettement contribué à salir l’avenir de l’aviation civile, néfaste à la jeunesse tunisienne désireuse de servir son pays dans la transparence et l’honnêteté. Que les imposteurs s’en aillent !
Aujourd’hui, nous sommes nombreux pilotes, chômeurs et ruinés, formés au Canada ou en Europe, réunis dans une association The Council of Tunisian Pilots, fils de familles modestes et honnêtes, sans pistons, refusant les pratiques illégales et nous souhaitons que le nouveau ministre des Transports puisse faire en sorte de donner à sa jeunesse méritante et compétente une écoute attentive de cette affaire afin de faire justice et que nous repartions tous sur de bonnes bases. Il faut permettre à tous les citoyens formés à l’étranger la chance de pouvoir travailler dans leur pays à leur retour en leur facilitant le processus d’équivalence.
Cette philosophie devrait s’appliquer à tous les secteurs pour permettre une véritable diversification dans le pays qui a besoin d’importer les compétences internationales par le biais de ses citoyens. Il faut stopper l’hypocrisie en se cachant derrière une réglementation désuète, déchet de l’ancien régime et penser dès à présent à l’avenir et donner des postes clés à une jeunesse solide, ambitieuse et dynamique qui prône l’éveil et l’entrée de la Tunisie dans l’ère de la modernité vertueuse.