Apii, Fipa, Cepex, Ontt, Atct… A-t-on idée de ce que font ces organismes publics et, surtout, de ce qu’ils ne font pas ? A-t-on idée de ce qu’ils coûtent au pays, comparé à ce qu’ils lui rapportent ? Une étude s’impose…
Par F. C.*
Quelques semaines après l’élection de la Constituante du 23 octobre, l’observateur étranger de l’actualité tunisienne ne tardera pas à constater le trop de politique dans les différents espaces d’expression, cafés et moyens de transport y compris. Il ne tardera nullement à se demander si les Tunisiens sont le peuple le plus politisé pour discuter autant politique, ou tout simplement le peuple le plus heureux pour ne parler que politique tout le temps.
Dans les deux cas de figure, le temps et l’énergie consacrés à la politique le sont aux dépens d’autres composantes de la vie d’un peuple équilibré, des composantes loin d’être satisfaites par les mesures de transition.
Certes, polémiques, rhétoriques et complots politiques, à terme, ne pourraient que bénéficier à une démocratie naissante, mais d’ici là une machine continue à tourner, celle de la vie courante, huilée par des intervenants comme les administrations publiques, les services publics ou autres organismes de promotion économique. Et c’est là, sur ce dernier point, que le bât blesse réellement. Preuve : rien ne semble changer, pourtant, avant le 14 Janvier, les organismes en charge se plaignaient du politique qui pesait sur leurs activités économiques et surtout de la chape de plomb que constituait la réputation politique du pays pour pouvoir vendre une image économique transparente. Portrait de ces organismes après le 14 janvier…
Siège de l'Ontt à Tunis
L’Apii a la tête dans les nuages
L’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (Apii) : pionnière de la promotion industrielle dans le pays et incubatrice en 1972 du tissu offshore qui a fait voyager avec brio le label «made in Tunisia» dans des capitales européennes jusqu’ici hermétiques vis-à-vis d’un produit venant de la «périphérie». Cette agence semble en panne d’idées pour pouvoir redonner confiance aux industriels locaux dont le pays à fortement besoin pour concrétiser l’un des objectifs de sa révolution, à savoir : l’emploi pour tous.
D’ailleurs, à un moment où tout le monde attendait ladite Agence dans les régions, les médias rapportaient la détermination de l’agence à organiser un séminaire d’affaires au mois d’octobre passé à Berlin (c’est bien Berlin et non pas Sidi Bouzid) et plus tard à Montréal (et non Kasserine).
Pourtant, en juin 1995, la même agence, consentante, a donné naissance à l’Agence de promotion de l’investissement extérieur (baptisée Fipa Tunisia) pour servir de fer de lance de la promotion économique de la Tunisie à l’étranger et permettre ainsi à l’agence mère de se consacrer exclusivement au rôle d’«agence au foyer».
Alors, question : pourquoi ce retour à l’international, après avoir abandonné, le 13 janvier 2011, la fameuse campagne «Think Tunisia» qui, pour un budget colossal, s’est vue rangée dans les archives sans aucun rapport de rentabilité ? Certains voient derrière ce retour «prémédité» de l’Apii à l’international beaucoup plus un choix personnel de son directeur général qu’une nécessité stratégique de l’agence.
En effet, longtemps en poste à l’étranger (Bruxelles, Amman, Montréal), l’actuel directeur général de l’Apii, un retraité maintenu en activité sous l’ancien régime, très attaché aux expéditions internationales et particulièrement accoutumé des marques étrangères, voit mal la promotion de la Tunisie passer par les routes à peine entretenues et autres pistes agricoles qui mènent souvent vers l’inconnu. Question de marketing de prestige, il faut qu’elle emprunte les longs et moyens courriers et tout ce qui vole dans les cieux.
Du reste, l’attachement au passé est bien évident chez le directeur général de l’Apii au point que la majorité de ses anciens collègues, partis à la retraite, ont été rappelés à l’agence sous forme de consultants/experts externes sur la base de conventions bidon mais de rémunérations qui pèsent du plomb, soit 200d/jour (bonne gouvernance et transparence à l’honneur). A ce jour, aucune librairie tunisienne n’a pris le risque de proposer à la vente une trace écrite de l’expertise rare et chère de ces plutôt honorables fonctionnaires qui ont servi l’administration tunisienne avec le meilleur de soi ni plus ni moins et le moindre des diplômes (bac+4).
La Fipa does speak english
L’Agence de promotion de l’investissement extérieur (Apie ou plutôt Fipa Tunisia), appellation chère à l’ancien Premier ministre (Mohamed Ghannouchi), est le revers de la médaille par rapport à l’Apii. Géographiquement parlant, Fipa est supposée exceller à l’international.
Malencontreusement et presqu’à la même période de l’annonce par l’Apii du séminaire berlinois, Fipa annonce sa détermination d’organiser un forum d’affaires sur le sol tunisien pour des hommes d’affaires allemands, soit le même public sur deux terrains différents. Pourtant, cette agence a été jusqu’à traîner les méfaits de sa réputation d’acteur trop à l’international. Une réputation selon laquelle ses cadres sont plus à l’aise à l’étranger qu’en Tunisie.
Supposés avoir fait des études approfondies à l’étranger, doués en langues et tout ce qui est techniques de vente, bourrés de connaissances multiculturelles, les cadres de la Fipa sont, par définition, faits et nés pour transporter et vendre une image séduisante de la Tunisie économique.
L’hypothèse est en grande partie prouvée, puisque les représentants de l’Agence à l’étranger sont tellement à l’aise à l’étranger qu’ils refusent de rentrer au pays natal même à la fin du mandat de 5 ans (règle d’usage en Tunisie pour les postes officiels à l’étranger). Certains d’entre eux, dont les noms ont couru les réseaux sociaux le lendemain de la révolution, n’ont pas hésité à servir d’agent d’accueil à l’aéroport pour les voyageurs de la famille mafieuse, allant jusqu’à servir d’entremetteur avec des partenaires étrangers pour les plus entreprenants parmi eux.
L’essentiel était de pérenniser le plus longtemps possible leur présence à l’étranger pour repousser à l’infini le «scénario cauchemar» d’un retour en Tunisie. Ceci sans parler de l’opportunité de certains bureaux qui ont été créés uniquement pour étendre la souveraineté de l’ambassadeur en poste.
Côté contenu, le personnel de la Fipa, et contrairement à ce qu’on en pense, est loin de sympathiser avec la langue de Shakespeare (première langue d’affaires) ni avec les techniques de vente. Comme il l’a été constaté par tout participant à une manifestation internationale de la Fipa, c’est plutôt un personnel discret (c’est-à-dire peu entreprenant), qui parle difficilement l’anglais avec un cursus académique très rarement en adéquation avec la tâche assurée.
Quelques mois après la nomination «révolutionnaire» d’un enfant de la boîte comme directeur général de la Fipa, les choses semblent peiner à changer. Très familière et accessible aux médias, l’agence tarde à annoncer au public sa révolution. Quelques langues renchérissent en toute innocence : comment révolutionner une agence alors que le ministre de tutelle n’est autre qu’un survivant de l’ancien régime dont le lapsus révélateur lors d’une émission Tv au mois de juin : «depuis le Changement» pour dire «depuis la révolution» est entré dans les annales des contradictions post-14.
Cepex pour faire voyager les dattes et l’huile d’olive
Le Centre de promotion des exportations (Cepex) : depuis l’aube des années 1970, le Cepex a juré de faire le tour du monde pour faire goûter et déguster dattes et huile d’olive tunisiennes à tous les peuples de la planète, y compris ceux de l’Amazonie, pourtant très à l’aise avec le kiwi et autres fruits exotiques. Depuis, chaque Pdg du Cepex nouvellement nommé s’attache à la carte du monde pour retracer le parcours de son prédécesseur (marketing d’entretien ou de rappel exige). Au point que le ministère de tutelle a fini par admettre que le Cepex devait quitter son siège historique, rue Garibaldi, pour loger à deux pas de l’aéroport Tunis-Carthage, question de commodité et de considérations pratiques.
Avant le 14 janvier, tout le monde s’accordait à dire que la Tunisie a pu devenir premier exportateur industriel sud-méditerranéen vers l’Union Européenne grâce aux entreprises totalement exportatrices (soit des entreprises qui fournissent le client sans besoin de marketing produit) dont près de 70% sont étrangères ou à participation étrangère assurant ainsi en flux tendu 80% des exportations de l’industrie manufacturière.
En l’absence d’une étude de causalité, pour voir dans quelle mesure l’effort du Cepex est productif d’un retour sur investissement, l’essentiel du budget, du reste assez conséquent, est destiné à aider les dattes et l’huile d’olive à voyager et quelque part, donc à priver le Tunisien d’un accès à prix normal à deux biens de sa richesse nationale.
L’actuel DG du Cepex, disciple perfectionniste de l’ancien Premier ministre, super doué en mixage linguistique (soit trois mots en français pour un mot en anglais), même en temps inopportun, ne semble pas réussir à injecter le dynamisme souhaité dans les couloirs du bâtiment flambant neuf qui, malheureusement, peine toujours à servir réellement de tarmac pour les exportations tunisiennes.
L’épisode de la participation quelconque en 2010 de la Tunisie à l’Expo universelle de Shanghai en Chine, loin d’être oublié, le Cepex continue, au rythme de la fatuité de son DG, à méconnaître les nouvelles réalités du pays qui font qu’il ne soit plus permis à un DG de satisfaire son ministre pour durer dans le poste.
D’ici là, être à la tête du Cepex permet encore d’avoir le score nécessaire pour prétendre à une adhésion au très select club des grands voyageurs.
Ontt et Atct : marathoniens des causes perdues
L’Office national du tourisme tunisien (Ontt) et l’Agence tunisienne de coopération technique (Atct) : il s’agit là de deux organismes qui évoluent l’un dans le contresens de l’autre. Le premier séduit les gens pour venir en Tunisie alors que le deuxième s’efforce d'aider les Tunisiens à partir à l’étranger. Cette opposition, dictée par la loi de création, n’a pas réussi à cacher les similarités parfaites. Le premier fait venir les touristes pour les livrer à tous les types de «biznessman» qui ont pour nom vendeurs d’excursions, chameaux, excursion quads, vendeur de harkouz, vendeur de tapis, etc. Le deuxième fait partir les Tunisiens pour les livrer, une fois dans le pays d’accueil, à toutes les mésaventures possibles sans aucun encadrement, bien qu’il dispose de ses propres antennes à l’étranger.
Des retours d’expériences font état d’exploitation sexuelle, harcèlement moral, esclavage moderne, soit des phénomènes vis-à-vis desquels l’Atct ne dispose que de sa fameuse «Omerta law».
Autre similarité non moins révélatrice, les deux organismes ne se chauffent les mains que de façon saisonnière, soit pour accueillir les touristes, soit pour répondre aux demandes officielles de coopérants (santé et éducation), mais avec ça, ils font supporter à l’Etat tunisien, le long de l’année, les frais de gestion d’un bureau permanent et les frais d’expatriation d’un cadre local avec tous les risques de déprime qu’il encourt à force de ne rien faire.
Au niveau des discours, la diversification des pays pourvoyeurs ou des pays d’accueil a été, depuis des années, l’axe de choix de la rhétorique de l’un comme de l’autre pour aboutir au même résultat.
La diversification est un terme perspectiviste qu’il faut prendre en tant que tel. S’agit-il là de deux marathoniens des causes perdues ou tout simplement d’organismes défavorisés tantôt par la conjoncture tantôt par les maladresses d’un premier responsable dont les qualités n’ont rien à voir souvent avec les exigences du poste ? A passer en revue le bilan du bureau dubaïote de l’Ontt et celui du périple australien du DG de l’Atct, le Tunisien n’aura pas besoin d’études assez poussées pour cocher cette hypothèse.
En place et lieu de l’un des épisodes du feuilleton grec ‘‘La Place des partis’’, la chaîne nationale aura à rendre un grand service à la Tunisie en consacrant une ‘‘Place aux organismes’’ qui consiste à mettre autour de la même table les responsables des cinq bras armés de la promotion économique à l’étranger pour voir ce qu’ils sont en train de bien faire de façon isolée et ce qu’ils sont en train de faire perdre à la Tunisie à force de vouloir faire cavalier seul. Déjà le fait de ne pas voir les 5 organismes réunis sous le même toit (pas forcément en fusion organique mais plutôt en mariage géographique) constitue une perte sèche à prix courant.
* Consultant.