Imaginons que des Tunisiens pourraient partir avec 400 dinars (200 euros) pour passer une semaine de vacances All Inclusive, disons, en France, sans visas ni ce fameux timbre de voyage…

Par Miriam Rejeb


Puisque la Tunisie est sur le point de se doter d’un nouveau gouvernement, choisi d’une façon que l’on espère équitable et juste, alors on doit commencer à dire la vérité et seulement la vérité du matin au soir. Cette règle doit être respectée dans tous les domaines de la vie publique, de manière à entamer, dès maintenant, une ère de transparence pour le bien de tous les Tunisiens, car ils méritent ça et depuis longtemps. Dans cet esprit de responsabilité citoyenne, nous allons exposer ici quelques-uns des vrais problèmes du tourisme en Tunisie même si certaines vérités vont nous faire un peu mal.

Une formule peu rentable

Tout le monde sait que la Tunisie est un pays touristique et, surtout, très bon marché. La question se pose d’elle-même : est-ce que le tourisme tunisien est vraiment rentable ? Qui profite le mieux de cette industrie ?

Depuis plusieurs années, la Tunisie propose la formule appelée All Inclusive («Tout compris»), qui est évidemment très appréciée par des touristes. On doit expliquer aux lecteurs en quoi elle consiste.

Un touriste d’un pays de l’Union Européenne achète chez lui à 250 ou même à 200 euros un séjour (billet d’avion, bien sûr, compris) d’une semaine et parfois même de 2 semaines dans un hôtel où il peut manger et boire les boissons, alcoolisées ou non, du matin à minuit. Si par malchance, au milieu de la nuit, les boissons alcoolisées sont épuisées, ce qui arrive assez souvent, des touristes non contents et en manque de liquide précieux, font des sit-in tellement violents qu'il faut parfois, pour pouvoir les calmer, appeler la police.

On comprend dès lors clairement pourquoi des touristes qui choisissent cette forme de séjour (ils portent des bracelets colorées aux poignets pour s’identifier) n’ont aucun intérêt à quitter l’hôtel. Conséquence : ces touristes ne dépensent, pratiquement, aucun sou en Tunisie. Pas même pour un casse-croûte, ou un petit café pendant une hypothétique promenade en ville. D’ailleurs, les clients de cette catégorie quittent très rarement leurs hôtels et ne veulent pas participer aux excursions à l’intérieur du pays.

Autre conséquence : les hôtels qui pratiquent le All Inclusive n’ont pas assez d’argent pour payer leurs charges, entre autres l’impôt et l’électricité. D’après l’hebdomadaire ‘‘Tunis Hebdo’’ du 21 au 27 novembre 2011, «des hôtels à Sousse ont des montants à payer auprès de la Steg qui s'élèvent à des milliards».

Des emplois précaires

Examinons le problème de l’emploi dans ces hôtels. La plupart des hôteliers sont obligés de faire des «économies» sur le dos de leurs employés. D’abord, les salaires dans le tourisme sont presque symboliques. Ensuite, les hôteliers offrent généralement des emplois temporaires, pour 2, 3 ou, au maximum, 4 mois. Ils expliquent au personnel qu’à la suite des difficultés économiques – la plupart des hôtels tunisiens ne disposent pas d’un vrai spécialiste de marketing pour exécuter un bon planning –, ils doivent subir le chômage technique et, bien sûr, sans compensation financière.

Dire que le tourisme tunisien est un important créateur d’emplois est, donc, un gros mensonge. En réalité, il offre des emplois instables et qui ne permettent pas aux employés de mener une vie digne ni de faire des projets.

L’article paru dans ‘‘La Presse’’ du samedi le 19 novembre 2011, intitulé ‘‘Zarzis-Tourisme : La tension monte de nouveau’’, concernant la grève du personnel de l’hôtel Odyssée, le 1er novembre 2011, nous apprend que «les promesses avancées par la direction de l’hôtel, touchant surtout la titularisation de 7 ouvriers dont l’ancienneté varie entre 12 et 8 ans sont tombées à l’eau». Cette situation est intolérable car cet hôtel «a bien travaillé cette année» (2011), lit-on aussi.

Hôtel Oasis Marine, Zarzis.

Le 22 novembre, les employés de l’Odyssée ont fait la grève comme prévue. Celle-ci a été bien suivie, et elle a duré 24 heures. Le directeur de l’hôtel n’a pas eu le courage d’affronter les revendications de ses employés. Quant aux clients, ils se sont rangés du côté des grévistes et leur ont apporté de l’eau et des gâteaux.

On ne peut que ressentir de la gêne et même de la honte devant ces touristes qui disent comprendre la situation des employés et trouvent les conditions de travail en Tunisie inacceptables.

Une gouvernance laxiste

Le problème de Zarzis n’est pas nouveau et le ministre du Commerce et du Tourisme, Mehdi Houas, «français» comme il le répète lui-même souvent, n’a rien fait pour le résoudre. Ce qui ne l’a pas empêché d’être décoré par le très vénéré président par intérim Fouad Mebazaa.
Les employés du secteur touristique doivent comprendre que Mehdi Houas est encore jeune, et qu’il est tout à fait normal qu’il ne puisse pas travailler du matin au soir, et qu’il a besoin de se reposer souvent, à Cannes ou ailleurs.

Pour revenir à la fameuse formule du All inclusive – qui, soit dit en passant, n’est point pratiquée au Maroc –, on constatera aisément qu’elle oblige les Tunisiens à nourrir un nombre considérable de touristes européens pendant plusieurs mois de l’année, à payer des factures astronomiques d’électricité et à supporter les augmentations incessantes des prix des denrées alimentaires, car la vie est devenue très chère en Tunisie où près de 25% de la population vivent dans la pauvreté.

Dernièrement, on a appris que d’après le classement de l’Indice de développement humain (Idh), la Tunisie occupe «honorablement» la 94e position sur 187 pays évalués (‘‘Tunis Hebdo’’ du 21 au 27 novembre 2011). L’Idh, on le sait, est calculé en fonction de l’espérance de vie, du niveau d’éducation et du niveau de vie dans chaque pays.

On voit très bien que la Tunisie, qui est juste au milieu de ce classement, accueille, nourrit, chauffe, climatise et divertit des ressortissants de pays riches, civilisés et démocratiques. Les «hôtes» trouvent cette situation tout à fait normale.

On a appris, au cours des derniers mois, qu’un nombre important d’hôtes de marque séjournaient en Tunisie aux frais de la princesse. On a cité, entre autres, l’ancienne ministre française des Affaires étrangères Michelle Alliot-Marie, et son collègue de la Défense Gérard Longuet. Toutes ces personnalités passaient des vacances de rêve en Tunisie, formidable terre  d’accueil, où elles sont très bien nourries, bien chauffées en hiver, et rafraîchies en été. Leurs hôtes, par contre, ces prolétaires du tourisme, ne gagnent pas assez pour mener une vie digne ou même décente. Ils se contentent très souvent de manger du pain avec l’harissa, grelottent en hiver et suent comme des éponges l’été.

Face à cette réalité peu reluisante, essayons de rêver ensemble un peu. Imaginons maintenant que des Tunisiens pourraient partir avec 400 dinars (200 euros) pour passer une semaine de vacances All Inclusive, disons, en France, sans visas ni ce fameux timbre de voyage. On peut être sûr que des familles entières vont contracter des prêts bancaires et partir profiter, au moins, une fois dans leur vie, de cette opportunité. N’ayons pas peur, ces familles vont revenir en Tunisie, car elles aiment leur patrie où il fait bon vivre (on espère pour tous les Tunisiens, et pas seulement pour les riches d’entre eux).

Comme tous les rêves, celui-ci est utopique et irréalisable. Car la justice n’existe que pour les «gens bien», ressortissants de pays développés, civilisés et démocratiques, tandis que l’injustice reste le lot de tous les autres peuples, les Tunisiens compris, considérés comme des sous-hommes.

Résumons-nous : le nouveau gouvernement tunisien doit changer complètement le visage du tourisme tunisien. Il doit renoncer définitivement à la formule All Inclusive qui est un désastre pour le pays. En revanche, il doit opter pour un tourisme thématique et culturel, qui encourage les touristes à visiter tous les coins de la Tunisie. De cette façon, toute la Tunisie profitera de cette industrie, appelée «tourisme», et non quelques privilégiés : voyagistes et hôteliers dont la richesse contraste fortement avec l’extrême pauvreté de leurs employés.