Entretien avec Erik Berglöf, économiste en chef et conseiller spécial du président de la Berd*, en marge de  la conférence sur «la croissance et l’investissement en période de transition».


 

Propos recueillis par Aya Chedi

Kapitalis : La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) met l’ensemble de la région sous son attention, mais vous avez certainement des plans spécifiques pour la Tunisie. Quels sont ces plans ? Et comment comptez-vous interagir avec les différents acteurs tunisiens pour les réaliser ?

Erik Berglöf : Je pense que nous avons une idée plutôt générale sur les secteurs susceptibles d’attirer notre attention en Tunisie. Bien sûr, nous essayons actuellement de savoir comment élaborer ces projets et avec qui exactement nous allons les entamer. Le plus important volet auquel nous comptons nous intéresser, c’est celui des petites et moyennes entreprises (Pme), et particulièrement le secteur bancaire afin de l’inclure davantage dans nos programmes.

Si nous pouvions travailler directement avec certaines Pme, cela nous permettrait de les aider dans certains aspects comme la gestion de l’énergie ou de l’eau. Nous comptons aussi accentuer notre travail sur la sécurité alimentaire, par la promotion des industries agroalimentaires.

Au cours de cette visite, nous avons essayé de travailler conjointement avec l’ensemble des acteurs, notamment les agriculteurs et les commerçants, et à chaque étape, nous avons essayé d’identifier les meilleurs acteurs avec lesquels nous pourrions mieux mettre en route nos projets.


Erik Berglöf

Qu’en est-il du secteur financier ?

Ce secteur est relativement bien développé, mais il accuse certaines faiblesses, notamment ses taux assez élevés de crédits non performants. On constate aussi une présence massive de l’Etat dans ce secteur. Nous pensons pouvoir apporter quelques solutions pour améliorer les capacités de commercialisation des banques. Nous pensons que la privatisation de certains établissements bancaires serait la bienvenue.

Le secteur bancaire est assez important. Il est, pour nous, le moyen essentiel pour transmettre les fonds et par la suite assurer que les Pme en bénéficient dans les meilleures conditions. Car si nous essayions d’aller directement vers chacune des Pme, ce serait assez pratique, mais cela nous coûterait aussi beaucoup. Il serait donc préférable de réussir à établir des partenariats directs avec les banques locales.

Qu’est ce que la Berd peut apporter à la Tunisie dans le domaine du transfert technologique ?

C’est un sujet très important. Ce que nous constatons à travers toute la région, mais particulièrement en Tunisie, c’est l’abondance de la main d’œuvre qualifiée. Certaines de ces compétences ne répondent pas parfois aux besoins du marché, ou manquent tout simplement de formations complémentaires ; ce qui rend leur «exploitation» parfois difficile. Mais, cette réserve en matière de main d’œuvre qualifiée est très importante pour nous, et nous essaierons d’attirer des investisseurs étrangers et de stimuler les investisseurs locaux en leur apportant de l’aide.

Nous sommes conscients du problème du chômage des diplômés en Tunisie et c’est un sujet sur lequel nous concentrons notre réflexion. Nous allons aider à poser les bases de l’économie du savoir, de manière à permettre la création d’emplois à haute valeur ajoutée.

Avez-vous discuté avec les responsables de moyens susceptibles de stimuler l’investissement local en Tunisie, surtout que ce dernier est l’un des tous premiers moyens d’attraction des investissements étrangers ?  

Le problème fondamental en Tunisie, et je le crois aussi pour un bon nombre d’autres pays au sud de la Méditerranée, c’est celui du climat des affaires. Il existe beaucoup de régulations spécifiques, d’interventionnisme de la part de l’Etat.

Nous ne préconisons pas de mettre fin à la régulation, mais nous aspirons à la rendre plus efficace, en réduisant les possibilités de corruption. Nous appelons à une plus grande efficacité réglementaire et à une simplification des procédures de création de nouvelles entreprises, et à aider les entreprises à se débarrasser de leur modèle de production qui accuse un manque de valeur ajoutée.

C’est quelque chose sur laquelle on travaille, et à laquelle la Berd voudrait bien contribuer. C’est l’un des dossiers les plus urgents en Tunisie.

Sur les 2 milliards de dollars, qui seront consacrés à promouvoir le développement dans quelques pays de la région, quel sera le montant qui sera alloué à la Tunisie ? Et pour quels secteurs ?

Ce sont 2.5 milliards de dollars, mais quel que soit le montant à débloquer, le plus important sera d’essayer d’apporter davantage de fonds de la part d’autres partenaires, car la Berd co-investit, ce qui valorise chaque dollar qu’elle apporte. Mais ce qui est le plus important ce sont les compétences, les expériences et les signaux que nous envoyons lorsque nous investissons dans un pays. Ce sont des choses qui devront aider substantiellement la Tunisie.

On pourrait donc s’attendre à l’ouverture d’un bureau de la Berd à Tunis ?

Oui, mais ce n’est pas dans l’immédiat. Ce devrait prendre un peu de temps, car la Tunisie n’est pas encore un membre de la Berd. L’adhésion de la Tunisie doit précéder l’ouverture d’un bureau à Tunis. Nous avons besoin d’une année ou plus pour que la Tunisie devienne un «pays d’opérations». Entretemps, nous comptons ouvrir une antenne et démarrer nos investissements en Tunisie à partir de l’été prochain.   

* La Berd est une institution financière internationale qui soutient la réalisation de projets dans 29 pays de l’Europe Centrale à l’Asie centrale. La banque investit principalement dans des entreprises du secteur privé. Depuis 1991, la Berd a financé 3.268 projets, avec un volume global de 64.9 milliards d’euros. La valeur totale de ces projets avoisine les 189.8 milliards de projets. La Tunisie, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc sont les nouveaux «pays d’opérations» de la Banque.