L’Association de défense des consommateurs de tourisme de loisirs (Adctl, France)* a instauré, depuis le 14 janvier, une veille sur la situation politique en Tunisie. Kapitalis publie sa dernière alerte…
Contrairement aux affirmations alarmistes de ceux qui se satisfaisaient jusqu’alors du népotisme mafieux de Ben Ali, l’objet du scrutin organisé sous la houlette de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution n’était pas de confier les rênes de l’Etat tunisien à telle ou telle personnalité ou parti politique providentiel, mais de désigner des députés à une Assemblée constituante.
La mission des 217 parlementaires élus consistera à rédiger une nouvelle Constitution en remplacement de celle de 1959 qui a montré ses failles.
Pour assurer la continuité de l’Etat, ces conventionnels devront au préalable se mettre d’accord sur l’adoption d’une mini-constitution régissant les prérogatives des têtes de l’exécutif du gouvernement de transition jusqu’aux prochaines élections générales prévues dans un an.
Cette mandature limitée dans le temps est une sorte de contrat à durée déterminée pendant lequel la population tunisienne pourra juger sur pièces ses représentants, dont les 89 élus sur la liste d’Ennahdha et selon les résultats qu’ils auront ou non obtenus, confirmer ou infirmer la confiance qu’elle leur a accordée.
La référence à l’islam est antérieure à la création d’Ennahdha
S’inquiéter d’une prétendue intrusion du religieux dans l’Etat comme a pu le faire publiquement un dirigeant d’un réseau d’agences de voyages françaises dénote une profonde méconnaissance des institutions tunisiennes depuis la décolonisation.
La Constitution de 1959, dont Habib Bourguiba, premier président de la république tunisienne, fut l’initiateur et le maître d’œuvre, fait déjà référence à l’islam. Elle utilise dans son préambule la formule consacrée «Au nom de Dieu, Clément et miséricordieux», et son article 1er dispose : «La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république».
Le programme du mouvement Ennahdha, intitulé «Pour une Tunisie de la liberté, de la justice et du développement», reprend lui aussi la formule consacrée ainsi que l’article 1 de la Constitution de 1959, mais y rajoute la référence au mouvement populaire de contestation politique et sociale : «La Tunisie est un Etat libre et indépendant : sa religion est l’islam, sa langue l’arabe, son régime la république et sa priorité la concrétisation des objectifs de la révolution».
Sous le titre «Un régime politique démocratique», il développe des engagements programmatiques qui, sauf à lui faire un procès d’intention, sont difficilement critiquables : «Nous proposons aux Tunisiens la mise en place d’un système politique qui extirpe les racines de la dictature qui a longtemps envenimé notre sphère politique et réduit le rôle de l’Etat à protéger la corruption et à réprimer les libertés.
Nous croyons que le régime parlementaire est le garant des libertés publiques et individuelles, de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, de l’alternance politique à travers à la fois une répartition équilibrée et dynamique des pouvoirs entre les différentes institutions de l’Etat et des élections multipartites libres.
C’est aussi le garant de la vivacité et de l’autonomie de la société civile, ainsi que du développement global touchant toutes les régions du pays et toutes les catégories du peuple».
On peut s’interroger sur la portée du discours, mais indéniablement il diffère de celui des Frères Musulmans égyptiens dont le slogan est : «L’islam est la solution, le Coran notre constitution».
La coalition sera jugée sur sa capacité de relancer l’économie
La révolution tunisienne fut une contestation tant politique que sociale, répondre aux aspirations de démocratisation de la société n’est qu’un des volets du problème auquel est confronté le gouvernement de transition.
Pour espérer se faire réélire dans un an, la coalition formée par Ennahdha (89 sièges) et ses 2 alliés de gauche, Congrès pour la république (Cpr, 29 sièges) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Ettakatol, 20 sièges) doit avoir des résultats économiques à la hauteur de l’attente des populations et notamment celle des régions de l’intérieur du pays discriminé sur les plans économiques.
Infléchir en un an des inégalités sociales et régionales qui perdurent depuis l’indépendance de la Tunisie est illusoire, le mieux que le triumvirat Ennahdha, Cpr et Ettakatol pourra faire c’est du saupoudrage plus ou moins intelligent pour donner le sentiment à cette population qu’elle n’est pas totalement abandonnée.
Toutefois, acheter de la paix sociale a un coût qui à terme pèserait sur le budget de l’Etat et réduirait d’autant ses capacités d’investissement dans de nouveaux pôles de croissances générateur d’emplois qualifiés qui seuls sont capables de réduire le taux de chômage des jeunes diplômés.
Un chantier d’autant plus prioritaire que ce chômage fut l’une des causes de la «révolte de Sidi Bouzid» à la suite de l’immolation d’un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes.
L’incertitude quant à la nature des projets économiques que le gouvernement de transition pourra ou non mettre en œuvre n’exclut pas la probabilité qu’éclatent sporadiquement des mouvements de contestation sociale, mais comme en janvier 2011 ceux-ci devraient être sans conséquence majeure pour les touristes.
L’urgence de relancer la destination
Avec une mandature limitée à 12 mois, le seul secteur qui a la capacité de générer un retour d’investissement rapide et visible, c’est celui du tourisme.
En 2010, il contribua à hauteur de 7% au Pib tunisien, généra entre 18 et 20% de recettes en devises, couvrit 56% du déficit commercial et employa 400.000 personnes.
La déclaration d’Hamadi Jebali, secrétaire général d’Ennahdha, à la tribune du congrès annuel du réseau AS Voyages : «La Tunisie est plus que jamais ouverte à accueillir nos amis français et européens», indique que ce secteur est bien au centre des préoccupations des dirigeants du mouvement.
Sous le titre : «Tourisme : surmonter la crise et diversifier les produits» voici quelques grandes lignes qui figuraient dans son programme électoral :
- Diversifier l’offre touristique en développant le tourisme culturel (sites archéologiques), médical, écologique, saharien et sportif, tout en encourageant l’investissement dans le tourisme haut de gamme.
- Renforcer la compétitivité du secteur touristique en améliorant la qualité des services, modernisant le système de formation, soutenant le projet d’espace ouvert, instaurant la gouvernance touristique et appuyant la création d’une cellule de veille.
- Promouvoir le tourisme intérieur... ainsi que l’incitation à la consommation en dehors des hôtels et la mise en place des nouvelles techniques d’animation touristique.
L’erreur de casting de l’équipe de «techniciens»
Les efforts de relations publiques, communication et marketing à destination du marché français de l’équipe de «techniciens» nommée pour gérer la transition jusqu’aux élections du 23 octobre 2011, n’ont pas eu l’efficacité commerciale espérée par leurs promoteurs.
Malgré leur prétendue solidarité avec «les idéaux de la révolution de jasmin» affirmée avec force lors des différentes manifestations people et les éductours organisées par l’Office national de tourisme tunisien (Ontt), les opérateurs industriels, assembleurs, agences de voyages, ont démontré leur incapacité à assurer les remplissages promis.
Les nouvelles autorités tunisiennes, si elles veulent redresser la situation, devraient pragmatiquement tirer le bilan de cette expérience et ne pas renouveler une stratégie perdante mise en œuvre par une évidente méconnaissance de l’état des lieux réel du secteur du tourisme français.
Manipulés par les opérateurs industriels qui affrètent et disposent d’un parc hôtelier, les TO assembleurs et agences de voyages ont géré d’une manière conflictuelle les annulations liées aux divers événements fortuits en 2010/2011 dont celui de la révolution du 14 janvier.
Ce faisant le secteur du tourisme dans son entier s’est tiré une balle dans le pied. Une récente enquête réalisée par l’institut de sondage Opinion Way révèle que les organisateurs et distributeurs de séjours fussent-ils représentés par des enseignes comme Fram, Club Med, Nouvelles Frontières, Marmara, font l’objet d’une forte défiance de la part des consommateurs.
A la question «J’ai confiance dans les entreprises de ce secteur d’activité» : 63% des sondés ont répondu par la négative, une situation qui ne donne pas aux professionnels du voyage la légitimité nécessaire pour être les prescripteurs efficaces de la destination.
La frilosité des Français n’est pas motivée par l’arrivée d’Ennahdha
L’histoire du tourisme de masse initié dans les années 60 en Espagne par le régime franquiste, nous apprend que les touristes s’accommodent des divers régimes politiques des pays réceptifs dès lors où ceux-ci ne portent pas atteinte à leur liberté et style de vie.
Malgré ce qu’en disent certains opérateurs touristiques pour justifier leurs mauvais résultats sur la Tunisie, la frilosité des consommateurs à souscrire n’est pas motivée par l’islamisme d’Ennahda, ce qu’ils craignent par-dessus tout ce sont les dommages collatéraux qui les atteindraient en cas d’instabilité gouvernementale.
Contraints à puiser dans leurs réserves pour s’offrir des vacances malgré la crise, leur frilosité à souscrire est motivée par le risque de subir une annulation en dernière minute.
Celle-ci aurait pour conséquence, selon les pratiques initiées par le Snav et le Ceto à l’occasion du nuage de cendres, le risque de se voir opposer par leurs prestataires un refus de remboursement des sommes versées et la contrainte d’accepter des reports de date ou de destination à des conditions financières désavantageuses.
A l’inverse, les vacanciers belges mieux protégés que les français en cas d’annulation pour force majeure sont retournés selon le quotidien belge ‘‘Le Soir’’ en Tunisie dès les vacances de Pâques 2011.
Ainsi malgré de légères pertes de fréquentation la destination est restée dans le top 5 des destinations favorites, d'après le observation de Jetair et Thomas Cook, qui à elles deux pèsent plus de 80% du marché belge.
Les gages qu’attendent les touristes français du gouvernement de transition tunisien porte moins sur les thèmes de politique intérieure et international – laïcité, droit des femmes, démocratie – que sur sa capacité d’user de son pouvoir régalien pour assurer sur l’ensemble du territoire la totale sécurité des séjours à forfait et excursions souscrites.
Cette sécurisation a des modèles différents suivant les destinations touristiques, par contre elle implique nécessairement l’évitement par les pouvoirs en place d’explosions de contestations politique ou sociale qui obligeraient les pays émetteurs à déconseiller le séjour à leurs ressortissants.
L’attente des consommateurs français
Viser «dans les trois prochaines années, 10 millions de touristes, doubler le nombre des nuitées et améliorer la pérennité et le revenu de ce secteur» est un objectif ambitieux qui pour être atteint nécessite un effort qualitatif.
Celui-ci implique comme préalable une éradication des 50 hôtels poubelles recensés par Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (Fth) dans une interview qu’il a accordée au quotidien ‘‘Assabah’’.
Des établissements qui ternissent l’image de la Tunisie et ne font le bonheur que des opérateurs – réceptifs tunisiens et voyagistes assembleurs français – qui les programment en toute connaissance de cause afin de disposer d’un prix d’appel tout en confortant leur marge bénéficiaire.
Il est intolérable qu’en réponse à un client qui se plaignait de l’état d’insalubrité d’un hôtel où de surcroit il a été victime d’une intoxication alimentaire, le service clientèle d’un voyagiste leader puisse lui opposer comme argument : «La classification de l’hôtellerie et les infrastructures touristiques tunisienne répondent aux normes locales du pays dont les notions d’hygiène peuvent être différentes des normes françaises».
* L’Adctl est l’association éditrice du site ‘‘Association SOS Voyages’’.