Analyse du programme de prêt de 500 millions de dollars accordé par la Banque Mondiale à la Tunisie : libéral, antisocial et limitatif de la souveraineté nationale.

Par Julie Marsault


 

Le gouvernement provisoire de Tunisie n’a pas attendu l’Assemblée constituante pour engager le pays envers la Banque Mondiale (BM). Le 21 juin dernier, la banque approuvait deux prêts d’une valeur totale de 500 millions de dollars. Son montant a depuis été intégralement décaissé, engageant ainsi la Tunisie à un remboursement sur 30 ans (plus 5 ans de grâce) !(1)
Ce programme, appelé «Prêt de Politique de Développement (PPD) pour la Gouvernance et les Opportunités en Tunisie», est censé appuyer la transition démocratique. Or, cet accord ne fait qu’augmenter le fardeau de la dette et engage la Tunisie sur le long terme. Au lieu d’accorder un don ou même un prêt à 0%, les deux prêts sont conclus à taux variables (2,31% pour l’un et 0,90% pour l’autre). Le seul «service» gratuit qu’elle octroie est son soutien technique… qu’on peut assimiler à de l’ingérence.

La prédominance du privé

Une analyse du texte «Document d’Information du Programme (Phase d’évaluation)», daté du 29 avril, dans lequel la BM présente le programme, révèle bien la logique capitaliste que défend la BM depuis sa création.

Tout d’abord la BM donne la priorité absolue au secteur privé pour créer la croissance, notamment pour l’emploi : «le pays est confronté à 2 défis (…) (i) (…) envoyer un signal fort montrant que la Tunisie crée effectivement les conditions égales pour la croissance de l’emploi dans le secteur privé» (page1) ; «stimuler la demande d’emploi dans le privé» (p2). La BM compte même sur le secteur financier pour créer des emplois («permettre au secteur financier de jouer pleinement son rôle dans le processus de création d’emplois»). Cette prédominance du privé implique aussi une marchandisation des services publics sociaux, dont les plus pauvres souffriront le plus. La BM propose notamment un programme d’aide aux demandeurs d’emploi peu qualifiés «grâce à un programme argent-contre-formation (…)» (p2) !!!

Peu d’allusions sont faites au domaine social, qui n’est absolument pas la priorité de ce programme. Dans la 2ème partie du texte qui définit les objectifs, les politiques sociales arrivent en dernière place, et l’objectif est très vague. On n’aborde pas le financement des services publics, et il n’est donné aucun exemple de mesure concrète à prendre. En revanche dans la partie sur la gestion des risques (p4) le programme fait allusion à l’État mais celui-ci ne doit intervenir qu’en dernier ressort pour atténuer les risqués liés aux aléas sociaux susceptibles de compromettre la mise en œuvre du programme !

Un programme clairement antisocial

Ainsi ces mesures sociales, loin d’être motivées par un désir d’améliorer le sort de la population, servent juste de garde-fou pour mieux mettre en œuvre la politique prônée par les technocrates néolibéraux. «Aider à rétablir la stabilité sociale en s’attaquant aux principales revendications de la population».

Enfin la BM consacre en fin de texte un paragraphe concernant les aspects environnementaux. C’est un moyen pour elle de se donner une bonne image en «prenant en compte» les aspects environnementaux. La BM n’hésite pas à dire que «les réformes appuyées dans ce Dpl ne devraient pas avoir d’effets positifs ou négatifs sur l’environnement» ; «(…) il n’est pas nécessaire pour l’instant de procéder à des études environnementales spécifiques, ni à prendre des mesures de gestion de risques».

Ainsi elle témoigne de l’aveuglement des capitalistes quant aux questions écologiques. Elle se veut rassurante car ses affirmations laissent à penser que les problèmes environnementaux ne concernent que certains secteurs de production particulièrement polluants et qu’il n’y a pas à s’inquiéter du reste. Or l’urgence climatique actuelle impose une remise en question de TOUS les aspects de la société et économie humaine.

Dettes et ingérence des «partenaires» étrangers

Le programme de la BM est donc clairement antisocial. Les nouvelles dettes qui pèseront sur l’économie tunisienne et l’ingérence des «partenaires» étrangers dans les affaires de l’État vont directement à l’encontre de la transition démocratique : comment les dirigeants politiques tunisiens peuvent-ils répondre aux attentes de leurs électeurs si leur politique est avant tout dictée par des créanciers étrangers ?

Ce programme s’inscrit donc clairement dans la contre-révolution tunisienne. Ben Ali était le gardien des politiques néolibérales qui bénéficiaient aux investisseurs et créanciers étrangers, en l’absence de toute souveraineté nationale de l’État tunisien. À présent qu’il n’est plus au pouvoir, ces derniers cherchent à tout prix des garanties pour pouvoir continuer à dicter leurs règles, avec la collaboration de l’élite locale restée au pouvoir.

C’est dans cette optique que le «Plan Jasmin» (Stratégie de Développement économique et social 2012-2016) a été mis en place. Le Plan Jasmin, qui est la feuille de route proposée par le gouvernement provisoire (avec l’appui du G8 et de divers partenaires étrangers), est antidémocratique, néolibéral et repose sur le recours à l’endettement extérieur pour se financer. Il prévoit un endettement externe à hauteur de 6 milliards de dinars (soit environ 3 milliards d’euros). L’Assemblée constituante a intérêt à rejeter la Plan Jasmin et à s’attaquer à la dette tunisienne. En effet, la soumission du pays à ses créanciers viole à la fois la souveraineté nationale populaire et trahit la révolution tunisienne.

Pour la reconquête de la souveraineté

C’est dans cette optique de reconquête de la souveraineté que l’association tunisienne Raid a lancé au lendemain du 14 janvier une campagne visant à suspendre le paiement de la dette tunisienne et de réaliser un audit de cette dette, afin de pouvoir sur des bases légales en répudier la part illégitime et odieuse. Cette campagne est relayée à l’échelle internationale par les réseaux Cadtm et Attac (dont fait partie le Raid), le collectif Auditons les Créances Européennes envers la Tunisie (Acet). Il existe également un appel parlementaire européen (signé à ce jour par 117 parlementaires ou députés), une résolution de l’Assemblée Paritaire UE-Acp(2) en mai 2011 et une résolution du Sénat Belge en juillet 2011 qui appellent tous les trois à une suspension de paiement et la réalisation d’un audit.

Notes
(1) - Banque Mondiale.
(2) - Acp = Afrique Caraïbe et Pacifique.

Source : ‘‘Alterinfo.net’’.

* Les intertitres sont de la rédaction.