Toutes les forces vives du pays doivent être solidaires pour atteindre une croissance du Pib d’au moins 7%, afin d’arriver à atteindre l’objectif du plein emploi. Il n’y a pas mille manières pour y arriver.
Par Nasreddine Montasser
Ces dernières semaines, les partis politiques organisent des conférences et des rencontres pour meubler les vacances forcées, imposées par les tergiversations de la Troïka. Le Parti démocrate progressiste (Pdp) a ainsi organisé, le 16 décembre, à son siège de l’Ariana, une rencontre débat avec l’un des élus du peuple, Moncef Cheikhrouhou. Ceux qui ont répondu à l’invitation n’ont pas été déçus. D’abord, ils ont eu le plaisir de rencontrer un homme modeste, aimable et disponible, mais aussi un conférencier d’un niveau louable. Ensuite, la rencontre a permis de cerner l’importance du débat économique dans la période cruciale que nous vivons. Elle devait débattre de l’importance d’avoir une Banque centrale indépendante, mais elle a vite débordé sur les autres sujets économiques et politiques d’actualité. Le talent de l’invité a fait que le débat est resté confiné dans une analyse méthodique et exhaustive des attentes de cette phase transitoire.
Moncef Cheikhrouhou
Le temps des idéologies est définitivement révolu
Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, M. Cheikhrouhou est un imminent professeur d’économie et de finance. Il a fait des études d’ingénieur à l’Ecole centrale de Paris, puis d’économie à Berkeley, en Californie, aux Etats-Unis. Il était à la tête de plusieurs institutions financières nationales et internationales et un illustre enseignant à Hec Paris. Il a eu plusieurs élèves célèbres dont François Hollande, candidat à la présidence française.
La conférence et le débat furent passionnants. Une question pertinente d’un jeune militant du Pdp a indiqué la ligne directrice de la conférence. Le parti auquel appartient l’hôte est-il encore un parti de gauche ou est-t-il devenu un parti de droite ?, a demandé le jeune militant.
M. Cheikhrouhou a expliqué que le temps des idéologies est définitivement révolu. Aujourd’hui, il n’est plus question de gauche et de droite. L’action économique s’efforce de trouver le meilleur moyen de créer la richesse et de la distribuer équitablement. Il a expliqué aussi que toute politique économique doit préserver l’entreprise et, à travers elle, le capital qui lui permet de jouer son rôle principal, à savoir la création de la richesse. Une fois créée, celle-ci doit être distribuée de la meilleure façon pour garantir la dignité des citoyens et la cohésion sociale.
Favoriser les conditions de la création de la richesse
Le professeur Cheikhrouhou a mis l’accent sur le rôle fondamental que jouent la création de la richesse et l’encouragement de l’initiative privée dans la vie d’une nation. Il a développé cette idée en insistant sur un certain nombre de conditions nécessaires pour atteindre ce but. L’assainissement du climat des affaires et la lutte contre la corruption et le trafic d’influence sont parmi les priorités. Les dérives, qui ont gangréné la vie économique de la Tunisie et entravé la mise en place d’une atmosphère saine susceptible d’inspirer la confiance aux investisseurs locaux et internationaux.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’indépendance de la Banque centrale vis-à-vis du pouvoir exécutif. Celle-ci a été obtenue de haute lutte dans la loi organisant les pouvoirs publics provisoires grâce aux pressions exercées conjointement par l’opposition et par la société civile. Cette avancée, extraordinaire dans le cas de la Tunisie, va donner confiance aux investisseurs et aux bailleurs de fonds internationaux, renforcer la lutte contre l’inflation et stimuler l’environnement économique.
M. Cheikhrouhou, en tant que membre du Pdp ayant participé à la mise en place du programme économique de ce parti, considère que la convertibilité du dinar est essentielle pour aider les entreprises à se développer sur le plan international et à promouvoir l’exportation et l’investissement. Cependant, cette convertibilité ne serait pas une action avisée si elle ne servait qu’à faire perdre au pays ses réserves de change sans contrepartie. Aussi, la convertibilité devrait-elle être sélective, rigoureusement encadrée et mise, de préférence, à la disposition des agents économiques, vecteurs de richesse et de croissance.
De toute façon cette orientation ne devrait pas être hâtée surtout qu’actuellement, crise oblige, les réserves de change tendent à s’amenuiser et s’approchent dangereusement du seuil fatidique des 90 jours d’importation.
Pour stimuler le processus de création de la richesse, le conférencier a insisté sur le rôle essentiel du partenariat entre l’Etat et le secteur privé, qui doit être axé sur le renforcement des assises financières et de la structure du capital des sociétés privées. Par ailleurs, l’avenir économique de la Tunisie passera nécessairement aussi par la conception de nouveaux mécanismes capables d’offrir des alternatives intéressantes au financement bancaire classique.
Dans cet ordre d’idée, M. Cheikhrouhou a passé en revue les produits financiers islamiques, qu’il considère comme une innovation. Car ils constituent une offre financière alternative et complémentaire aux produits classiques et un outil solide de financement à la disposition des entreprises tunisiennes.
Distribution de la richesse et dignité de l’individu
La création de la richesse doit passer essentiellement par l’entreprise privée. Celle-ci, en tant qu’agent économique important et incontournable, doit être préservée et confortée dans son rôle d’employeur, de moteur du développement et surtout de locomotive de l’exportation. Elle doit prendre conscience de son rôle de distributeur de la richesse qu’elle produit. C’est sur cette fonction de distribution qu’elle doit être dorénavant jugée par la société civile. Car la distribution équitable et volontaire de la richesse créée est fondamentale dans le développement harmonieux du pays.
Surtout quand ce pays, comme la Tunisie actuelle, est confronté à un grand problème de chômage, qui exacerbe les sentiments d’exclusion et aggrave la pauvreté.
Le conférencier, qui a retenu les leçons de la révolution tunisienne, rappelle que la dignité est une valeur fondamentale dans la construction de la citoyenneté. Aussi est-il révoltant de laisser pourrir la situation actuelle et de tourner le dos aux trois principales revendications de la révolution : travail, liberté et dignité.
Désormais, les économies des pays doivent être jugées selon ce critère de l’équité. Les pays seront divisés entre ceux qui proposent une vie digne à leur citoyens et ceux qui ne le font pas. La dignité signifie l’égalité des chances, l’équité dans l’accès à l’enseignement, au travail et à la production de la richesse et à sa distribution.
L’Etat doit tout mettre en œuvre pour résorber la masse de chômeurs en commençant par ceux qui en ont souffert depuis une longue période, les détenteurs de diplômes et ceux appartenant aux couches sociales les plus fragiles. Des solutions urgentes doivent être trouvées pour que le marché du travail dans le secteur privé se mette en action et offre du travail dans tous les secteurs. A cet égard, un partenariat public-privée efficace pourrait aider à résoudre le problème de l’emploi.
Le pays tout entier et toutes ses forces vives doivent être solidaires pour atteindre une croissance du Pib à 7% sinon plus, afin d’arriver à atteindre l’objectif du plein emploi. La tâche est certes difficile mais il n’y a guère de choix. Le travailleur doit trouver sa place dans un modèle économique basé essentiellement sur la garantie de la dignité des citoyens. Il doit être rémunéré à la juste valeur de son travail et doit évoluer dans un environnement propice à la préservation de ses droits et de ses aspirations.
Dans cette nouvelle approche citoyenne, les idéologies économiques brutes sont en perte de vitesse. On ne peut plus prétendre être de gauche ou de droite et vouloir imposer une idéologie dans un sens ou l’autre. L’action économique générale doit avoir des objectifs tangibles : créer de la richesse et la distribuer équitablement entre tous les citoyens.