Le nouveau ministre des Finances aura-t-il le courage d’aller jusqu’au bout de ses idées en mettant en question les sacrosaintes subventions d’Etat pour les produits de première nécessité ?

Par Nydhal Elmahfoudhi


 

En cette période de fronde sociale, notre ministre des Finances vient de lancer un pavé dans la mare. Oui, en direct à la Radio, il a osé remettre en cause les sacrosaintes subventions d’Etat pour les produits de première nécessité. Etait-ce un coup d’épée dans l’eau, une envolée lyrique d’un ministre en manque d’expérience médiatique ou encore un coup politique ?

Pour commencer, je tiens à être clair. Personnellement, j’adhère totalement à la libéralisation des prix de tous les biens et non seulement des produits pétroliers. Cette libéralisation doit être, bien sûr, progressive, ciblée et tenir compte de la conjoncture socioéconomique. En effet, je pense que ce transfert ne peut qu’apporter plus de justice sociale. Dans ce sens, les produits pétroliers représenteraient une première étape simple à implémenter et à évaluer.

La justice sociale en équations

Rien de mieux qu’un petit exercice pour mesurer l’aspect juste, du moins en théorie, d’une telle démarche : l’Etat alloue un budget N pour subventionner la consommation d’une population N.
Les revenus de cette population sont répartis dans un ordre croissant de R1, R2 jusqu'à Rn. En supposant que Rm est le revenu minimum de subsistance, un individu P (rang ente 1 et m) aura comme revenu Rp=Rm-Yp et un individu L (rang entre m et n) aura comme revenu Rl=Rm+Yl.


Houcine Dimassi sur Shems FM.

* Dans un système à subvention directe :

- En partant de l’hypothèse que la consommation des biens est constante nonobstant du revenu, la subvention sera de S=X/N. Ainsi, le revenu global de chacun s’est bonifié de S. Les individus de rang P dont le revenu Rp est entre R1 et Rm-S (les plus pauvres) restent en dessous du seuil de subsistance alors que les individus de rang L dont le revenu Rl est entre Rm et Rn ont une prime de S. La courbe de distribution des revenus garde donc la même pente. Ceci démontre, à mon sens, l’aspect arbitraire de ce type de subvention.

- Le constat peut être plus alarmant si on supprime l’hypothèse mentionnée plus haut. En effet, dans la réalité, la consommation de biens s’accroît avec le revenu. Ainsi, les subventions seront réparties dans un ordre croisant de S1 à Sn (i.e. plus vos revenus sont élevés, plus vous percevez de subventions).

* Dans un système à subvention indirecte (e.g. revenu minimum, mécanismes d’aide individualisée) :

- La priorité sera de garantir un revenu minimum à tous les citoyens. Ainsi, le budget X sera alloué pour couvrir la somme des Yp et par conséquent la ramener la population de rang entre 1 à m au niveau Rm.

- Il est vrai que Rm, dans de cas, sera nécessairement supérieur au Rm mentionné plus-haut (tenant compte de l’augmentation de prix induite par la suppression des subventions). Mais, l’expérience démontre que l’augmentation n’est pas linéaire grâce à rationalisation de la consommation de bien anciennement subventionnés induite par l’augmentation des prix.

- Si excédent de budget il y a, ceci devrait servir, encore sous forme indirecte, de levier de politique socioéconomique : aide à l’emploi, à la création, à l’éducation...

Et nous dans tout cela…

Ceci dit, nous savons tous que la vie des hommes ne peut pas se résumer en équation. Pour ce, je reviens sur le cas des subventions sur les produits pétroliers. Je pense que la libéralisation de leur prix suppose 5 corollaires :

- un parc automobile rénové ;

- un système routier et autoroutier développé et performant ;

- un système de transports en commun inter et intra-urbain efficient ;

- un circuit de distribution transparent et concurrentiel ;

- l’existence de produits de substitution.

Je vous concède qu’à ce jour, ces cinq conditions ne sont pas réunies en Tunisie. Mais en continuant à faire l’autruche, ils ne le seront pas par le fait du bon dieu. Un jour où l’autre l’Etat ne pourra plus combler le différentiel (surtout avec la croissance des cours sur les marchés internationaux et la diminution continue des réserves nationales). Ce jour-là le choc sera brutal.

C’est pour cela que la transition doit commencer aujourd’hui à travers la diminution progressive des subventions. Dans la pratique, elle devra être plus lente pour les produits dits sociaux (pétrole lampant, butane... qui sont plus utilisés par les catégories les moins aisées) et pour le secteur productif. En parallèle, une partie des économies réalisées devra être consacrée à la réalisation des conditions ci-dessus.

L’impact économique

Ce système de subvention directe a créé des distorsions et des poches d’inefficience dans notre économie. Il est vrai que quand un négociant ou un organe d’Etat jouit d’une marge garantie, il est très peu regardant sur son coût d’approvisionnement, de transaction, de fonctionnement ou encore les déperditions économiques...

Dans le cas particulier des produits importés et subventionnés, cela encourage des pratiques à la limite du mafieux : comme la corruption dans le cas des monopoles d’importation ou encore la contrebande pour les arbitrages transfrontaliers.

D’autre part, ces produits subventionnés, quand ils jouent le rôle d’intrants économiques, faussent souvent l’évaluation de pans entiers de notre économie et servent à créer de la fausse valeur (e.g. mesure de la valeur ajoutée dans le tourisme, la restauration, transport ...). Et comme vous le savez, avec de mauvaises évaluations on prend nécessairement de mauvaises décisions.

S’ajoute à cela, le fait que les pays africains qui ont réussi leur processus de libéralisation ont vu croitre l’investissement privé dans les secteurs concernés. En effet, rien de mieux pour encourager l’entreprise individuelle qu’un marché transparent et concurrentiel. Ceci impactera la création de valeur et d’emploi.

A mon avis, tous ces gains indirects vont s’ajouter aux économies faites par l’Etat et à l’impact social pour plaider en faveur de la libéralisation progressive des prix.

Et la politique dans tous cela…

Maintenant, je souhaite revenir aux propos de M. Dimassi. En effet, l’idée me séduit mais la manière dont elle a été amenée (interview radio, improvisation, manque de pédagogie) me fait craindre le pire. Comment me dites-vous ?

Je me rappelle que, par le passé, l’opinion publique tunisienne était volatile voire impossible à capter. Ainsi, pour mener leur politique souvent populiste, nos gouvernants ne pouvaient pas se baser sur des sondages d’opinion et utilisaient donc la technique de la rumeur. On lâchait un mot ou une phrase et on restait à l’écoute de la rue. Par la suite, sur la base de l’écho, on y allait où on y allait pas sans débat, sans pédagogie…

Aujourd’hui, je crains qu’après que monsieur le ministre ait finit son interview, ses conseillers se mettent à compter les «like» sur Facebook. Ceci pourrait tuer l’idée dans l’œuf sans qu’on ait le temps d’en débattre.

M. le ministre, faites moi mentir ! Maintenant que vous avez annoncé le sujet, expliquez-vous, faites de la pédagogie et laissez le débat naitre et se développer… La décision sera ce qu’elle sera mais ce sera le choix de la Tunisie.