C’est, désormais, un secret de Polichinelle : les agences de voyages subissent de plein fouet la récession économique, les contrecoups de la révolution et le résultat des élections. Et ils ont besoin d'un coup de pouce, eux aussi…

Par Samantha Ben-Rehouma


Ce triste diagnostic est fait par les membres de la Fédération tunisienne des agences de voyages et de tourisme (Ftav), au cours d’une conférence de presse, lundi, à Tunis. Il est le résultat de la sévère «crise dans la crise» que traverse le secteur du tourisme. Et même si les agences de voyage se targuent qu’aucun agent de voyage n’a été viré au lendemain de la révolution, force est de constater que, pour cause de leasing impayé, Cnss, impôts et saisie, certaines se voient dans l’obligation de fermer boutique.

 


Vue de la conférence de presse de la Ftav

Bref, vous l’aurez compris, les agences de voyages suffoquent, se meurent, tant les obstacles et les portes fermées se dressent de tous côtés.

Pourtant la Zaba Connection ne règne plus, alors d’où vient le mal ? Du ministre du Tourisme ? « Non, répond Mohamed Ali Toumi (président de la fédération), puisque les ministres de transition, nommés après la révolution, n’ont pas apporté le moindre soutien. J’en ai pour preuve ma demande de proposition d’intervention à laquelle je n’ai reçu à ce jour aucun feedback alors qu’elle a été envoyée depuis le 7 avril 2011 ! C’est pourquoi je tire la sonnette d’alarme, le but de cette conférence est avant tout de dire aux médias – et j’espère vivement que ces derniers véhiculeront l’information comme il se doit – que nous ne nous contenterons plus de bouts de ficelle, de situations bancales : nous voulons de l’action ! Prenez-le comme un ultimatum, mais trop c’est trop !»

Sans report des paiements, on boira tous la tasse !

La Ftav compte demander au gouvernement des reports de paiement afin que les agences puissent obtenir des liquidités : payer les salaires et préserver ainsi tous les emplois.


Les voyagistes en force pour témoigner de leurs difficultés

D’autre part, une kyrielle de bâtons mis dans les roues de ces Pme freinent ainsi toute reprise économique et sociale (là aussi la Ftav demande des reports) : la caution Ontt (le 31 janvier sera la date butoir pour s’acquitter d’une caution financière sous peine de fermeture définitive), ainsi que la limitation du kilométrage autorisé pour les excursions touristiques, qui concerne surtout les agences spécialisées dans le transport terrestre, en plus de l’épineux problème de l’Outgoing – formule qui permet au Tunisien de s’adresser à un agent de voyage agréé avec pour gage des conditions reconnues mondialement –. En effet, chaque année la Banque centrale de Tunisie (Bct) alloue 10 millions de dinars (MD) pour le budget de l’Outgoing mais 2012 semble sonner le glas de cette manne puisque la Bct n’a rien attribué (pour l’instant). Au grand dam de la Ftav qui avait espéré tripler ce budget (celui de 2010 était de 23 MD !).

Ajouté à cela, le statu quo qui persiste dans l’organisation de la Omra et du Haj, et ce, à cause de la mainmise (à croire que rien n’a changé) de la Société nationale des résidences (Snr, mieux connue sous le nom de Montazah Gammarth) et l’on aura tous compris pourquoi le torchon brûle entre la Ftav et ses différents vis-à-vis.

Destination nulle part

D’autres sujets brûlants ont été évoqués : Goulette Shipping créée par un certain Sakher El Materi en 2006. Cette dernière taxait chaque passager (que ce dernier débarque ou pas !) de 1,75 euros, puis de 3 euros en 2007 et de 5 euros en 2009, autant dire qu’avec ces 5 euros c’est le secteur des croisières qui coule.

A ce propos, la Ftav a suggéré de couper la poire en deux (2,50 euros) tout en offrant le double des passagers, mais là-aussi cette requête est restée sans réponse. Samedi dernier, un appel d’offres dans ‘‘La Presse’’ où il est question de prendre en charge le futur congrès de l’Organisation mondiale du tourisme (les 16-17 avril) fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est comme si l’on faisait un appel d’offres pour une intervention chirurgicale et que l’on dénigrait tous les chirurgiens de renom pour s’adresser aux infirmiers. Une aberration ?! Non du «tmenik» (foutage de gueule) car cela prouve bien que nous n’avons aucun poids sur la scène touristique, dixit les représentants de la Ftav.

A entendre les problèmes que rencontrent les représentants des différentes régions (Douz, Hammamet, Nabeul, Sousse, Sfax, Tozeur, Tunis, etc.) présents à cette conférence, on ne peut nier qu’un vrai dialogue de sourds s’est installé entre le gouvernement – qui se cache derrière le disque ô combien rayé «nous n’avons pas d’argent» – et la Ftav bien déterminée à changer les choses, quitte à ce que cela débouche sur des représailles, car certes il y a eu révolution mais l’évolution est encore loin ! Et l’évolution, à laquelle les agents de voyage devraient aussi se préparer, consiste à compter moins sur l’Etat, dont on connaît les difficultés financières actuelles, et à puiser davantage dans leurs propres ressources.

Une crise, on le sait, nécessite une gestion de crise, d’autant que l’Etat providence ne dispose aujourd’hui que d’une marge de manœuvre très réduite. A trop attendre des secours, qui risquent de ne pas venir, on peut perdre un temps précieux à tergiverser, à douter et à se désespérer…