Les statistiques au temps de Ben Ali n’étaient exploitées que pour des raisons politiques qui servaient les intérêts du pouvoir en place… Les chiffres sur la pauvreté, par exemple, étaient tabous!
Par Marouen El Mehdi
C’est ce qu’a révélé Mohamed Ali Mouelhi, directeur du Conseil national des statistiques (Cns), lors d’un point de presse, jeudi, à Tunis. Ainsi, les statistiques sur la pauvreté obéissaient, comme toutes les informations officielles, aux recommandations et aux ordres du Gouvernement.
Le taux de pauvreté : 3,8% ou 11,4%?
Le système national statistique a fait l’objet, depuis, de nombreuses discussions et controverses, axées surtout sur la pertinence et la fiabilité des données engendrées par le système et ce, suite à de nombreuses années d’ingérence politique et d’absence d’autonomie et de transparence.
Parmi les statistiques le plus critiquées, figurent celles relatives à la pauvreté et aux chiffres qui s’y rapportent. C’est en 2005 que les dernières statistiques sur la pauvreté ont été établies, mais les chiffres communiquées officiellement ont caché l’essentiel de la vérité. Le taux de pauvreté a été calculé en partenariat avec les experts de la Banque mondiale en tenant compte de deux seuils de pauvreté :
* un seuil bas considéré comme une mesure de l’extrême pauvreté (3,8% de la population, soit 376.000 personnes ou 59.000 ménages);
* un seuil élevé considéré comme une mesure de la vulnérabilité économique (7,6% de la population, soit 762.000 personnes ou 135.000 ménages).
Au total, la pauvreté en Tunisie touchait 11,4% de la population totale en 2005, soit près de 113.800 personnes ou 194.000 ménages.
Or, le pouvoir en place a joué sur les chiffres au moment d’annoncer ces statistiques puisque seul le chiffre de 3,8% a été officiellement cité en 2007, et on parlait de familles nécessiteuses et non pas… pauvres.
Pas de falsification mais une communication tronquée
Selon les responsables des institutions de statistiques, il n’y avait pas de falsification puisque les chiffres étaient réels, mais c’est au niveau de la communication des informations que l’on a joué pour cacher le nombre impressionnant de citoyens qui côtoyaient le seuil de pauvreté.
Les statistiques en Tunisie d’après-révolution se veulent plus fiables et plus crédibles. Ainsi, les organismes concernés ont déjà programmé un important rendez-vous, au mois de mai 2012, pour réunir toutes les parties prenantes et permettre de tout mettre en ordre.
Le futur programme, après ces «assises», prévoit un diagnostic plus profond de la pauvreté en Tunisie, une étude sur l’impact des subventions sur les classes moyenne et pauvre, ainsi que des enquêtes plus fréquentes sur la consommation (actuellement tous les cinq ans), le budget et le niveau de vie des ménages afin d’assurer un suivi correct et régulier de la pauvreté.
De même, des études seront effectuées sur les inégalités et la répartition des richesses sur l’ensemble de la population. Il y a lieu de préciser que ces statistiques vont obéir à des normes mises en place par les institutions de statistiques, la Banque mondiale, le Programme des Nations Unis pour le développement (Pnud) et l’Unicef, ainsi que des hautes compétences tunisiennes dans ce domaine.
Pas de recensement de la population avant 2014!
Nous savons tous que le dernier recensement de la population tunisienne a été effectué en 2004 et que certains de ses aspects et résultats n’étaient pas totalement crédibles.
Le nouveau Gouvernement en place a sollicité les organismes de statistiques pour avancer la date du prochain recensement, prévu en 2014, et le réaliser en 2012 afin de le prendre en considération au moment de mettre en place les grands plans de développement du pays.
Or, selon les responsables de l’Institut national des statistiques (Ins), il sera impossible de satisfaire cette demande car, révèlent-ils, cette opération nécessite des années de préparation et de gros moyens humains et financiers. Celui de 2004 a coûté près de 16 millions de dinars, et celui de 2014 exigera un budget de 35 à 40 millions de dinars selon les estimations actuelles.
Ainsi, donc, on ne verra pas la date initiale changer et il va falloir attendre deux ans au moins pour la réalisation d’un recensement qui doit faire partie des priorités du Gouvernement afin de voir plus clair dans ses futurs programmes.