Pourquoi appauvrir le commun des salariés, déjà obéré par les dettes et la cherté de la vie, en déduisant 3 ou 4 jours de ses émoluments mensuels, alors qu’il existe d’autres solutions alternatives.

Par Farouk Ben Ammar*


La plupart des Tunisiens ont récemment eu vent, via les médias et les réseaux sociaux, de la décision des prélèvements sur salaires que compte entreprendre l’État : la déduction de 3 ou 4 jours sur les émoluments mensuels de tous et toutes les salarié(e)s. Ceux et celles dont les revenus mensuels sont inférieurs à 500 dinars tunisiens (TND), autrement dit les smigard(e)s, en seront dispensé(e)s.

Un délit d’initié ou sage solution

Objectif : réduire le déficit budgétaire qui a atteint 6% en 2011 et risque de s’aggraver en 2012 avec la conjoncture économique actuelle. Toujours loin des 12,9% du déficit budgétaire grec en 2011, et qui serait réduit, éventuellement, à 6,9 % en 2012 grâce à un très impopulaire programme d’austérité.

Ne voulant aucunement offenser quiconque, loin de là, je ne peux m’empêcher de poser cette question : est-ce un simple délit d’initiés ?

A la vue de la crise économique sévissant en Europe et qui ne fait qu’empirer, et dont l’effet tsunamique sur notre pays ne va pas tarder à se faire inexorablement sentir, un augure des temps difficiles, ces prélèvements sur salaires, solution palliative, s’arrêteront-ils dans les années à venir !

Un petit exercice de calcul

Revenons aux prélèvements sur salaires, et faisons un petit exercice de calcul : en 2009, le nombre des personnes couvertes par la sécurité sociale a atteint près de 3.528.000 représentant 95% du total des salariés (‘‘Tunisie-Focus’’, 13-01-2011), par une simple règle de trois on aurait 3.714.000 travailleurs.

Supposons qu’en 2012, le nombre de salariés a évolué pour atteindre les 4.000.000 (300.000 nouveaux emplois créés en 2 ans), et supposons que 50% parmi ceux-ci gagnent plus de 1.000 TND par mois.

En faisant un petit calcul, cette coupe salariale de 3 jours ramènerait à l’État une somme oscillant entre les 100 et 200 millions de TND.

Ce pécule n’est même pas suffisant pour construire une unité hôtelière d’une capacité totale de 4.000 lits. Est-ce que cela qui va résorber le déficit budgétaire du pays, avec le risque de causer un tollé général ? En vaudrait-il la peine et les risques de gérer un mécontentement populaire ?

Autres alternatives

J’avais énuméré, dans un précédent article, quelques esquisses d’idées simples mais à développer, à savoir :

* émettre des bons du trésor, à la limite peu ou non rémunérés (patriotisme oblige), comme il a été fait au début de l’indépendance, voire lancer des emprunts obligataires garantis par l’État pour limiter le recours aux crédits et les emprunts de l’étranger. Le citoyen serait ainsi partenaire de l’État et non un simple comparse ;

* négocier et arrêter un programme d’austérité en concertation avec tous les partenaires sociaux et économiques. Avec, en option, le faire adopter par voie référendaire pour s’assurer l’engagement de la majorité des tunisiens : un bon exercice de démocratie directe. Car une telle mesure décidée par oukase risque d’être fortement contestée et par l’opinion publique et les organisations syndicales qui pourraient batailler ferme contre l’idée, sur fond de montée accablante du chômage.

* développer un système de fiscalité juste et équitable, voire régionalisé, où le riche paie pour le pauvre, pour renflouer les caisses de l’État et réduire les différences entre les régions. Un bureau privé révéla dans une étude une vérité scandaleuse sur la rémunération des patrons : un salaire annuel moyen de 110.000 TND par an. Certains gagnent annuellement des salaires pharaoniques : 360 000 TND !

* renégocier vers la hausse les revenus des grandes concessions d’exploitation (énergie, transport, agriculture, etc.) avec les compagnies étrangères ;

* réduire les importations de produits de luxe, et particulièrement les automobiles pour favoriser les placements dans les marchés financiers étrangers...

En 2011, l’État a permis aux concessionnaires automobiles d’importer des véhicules d’outre-mer, pour une valeur globale de pas moins de 800 - 1.000 millions de TND, avec une marge bénéficiaire de plus de 18%.

Ces montants en devises, placés dans des marchés financiers, pourraient rapporter à l’État des dizaines de millions de TND annuellement, rien qu’en réduisant de moitié les importations de véhicules neufs !

Je ne suis qu’un peu initié à la fiscalité et aux finances, mais en tant que simple citoyen, j’ai essayé d’analyser, en adoptant une approche simpliste, une décision, en tirant des conclusions non ésotériques et compréhensibles par le commun des Tunisiens.

Aux professionnels de la fiscalité et des finances de peaufiner ces idées et d’explorer une myriade d’autres solutions, au lieu d’appauvrir le commun des salariés déjà obéré par les dettes et la cherté de la vie.

* Ph.D.