Après avoir longtemps tourné le dos à sa profondeur subsaharienne, la Tunisie tente de pousser ses pions sur le continent, auquel elle a donné son ancien nom d’Ifriqiya. Une stratégie de reconquête est en cours d’élaboration.
Par Wahid Chedly
La valeur globale des exportations tunisiennes de biens et services vers l’Afrique a atteint 600 millions de dinars (MD) en 2011. Bien qu’il soit en hausse de 40% par rapport à 2010 et de 600% par rapport à 2004, ce chiffre ne réjouit pas les acteurs économiques tunisiens actifs sur le continent noir et surtout les organismes nationaux chargés du développement des exportations.
Un nouveau terrain de bataille entre les géants économiques
«Ces chiffres sont largement en-deçà de nos attentes. Nos chefs d’entreprise, qui ont été jusqu’ici trop timorés, doivent être désormais plus entreprenants d’autant plus que des places sont encore à prendre sur ce continent en plein décollage économique», souligne Riadh Attia, directeur central du Centre de promotion des exportations (Cepex), à l’ouverture d’un séminaire sur «les marchés africains: opportunités et moyens d’accès», organisé jeudi à la Maison de l’exportateur à Tunis. Et de renchérir: «La Tunisie a tout à gagner à se départir d’un certain afro-pessimisme qui n’a plus raison d’être». Et pour cause: le potentiel du continent au milliard d’habitants, qui n’est plus associé à la sinistrose économique et à l’instabilité politique, est énorme.
Sur la dernière décennie, le Pib africain crû à un rythme moyen de 5% par an, un taux deux fois supérieur à celui des économies développées. En 2012, le continent au milliard d’habitants devrait enregistrer une croissance économique de 5,3%, selon les prévisions du Fonds monétaire international (Fmi). D’ici 2020, 128 millions de ménages africains auront un revenu régulier et leurs dépenses de consommation annuelles atteindront plus de 1.200 milliards de dollars, selon un récent rapport du prestigieux cabinet d’études de marché McKinsey Global Institute. Autant d’atouts qui font de l’Afrique un nouveau terrain de bataille entre les géants économiques, à savoir les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Inde.
Rattraper le temps perdu…
Des pays aux caractéristiques économiques semblables à ceux de la Tunisie, dont le Maroc, ont également réussi à s’offrir une place sous le soleil africain grâce à une politique d’expansion volontariste initiée depuis le milieu des années 90. Et c’est avec ces pays n’ayant pas une grande force de frappe économique que la Tunisie espère aujourd’hui jouer des coudes en Afrique…
Pour tenter de rattraper les retards qu’ils ont accumulés par rapport à leurs éternels rivaux marocains, les acteurs économiques tunisiens ont défini, en étroite collaboration avec les organismes publics concernés et des cabinets d’étude de marché, une sorte de feuille de route de nature à faciliter la conquête des marchés africains.
La première ébauche de cette nouvelle stratégie africaine a été présentée par Taoufik Melayah, président de la Chambre syndicale nationale des sociétés du commerce international, rattachée à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica, syndicat patronal) et président du conseil d’affaires tuniso-malien. Elle prévoit notamment le classement des pays africains par ordre d’importance économique. Ainsi, la feuille de route recommande de cibler en priorité l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui regroupe 8 pays et 95 millions d’habitants. «Cette sélectivité nous permettra de ne pas gâcher nos efforts sur des marchés difficiles d’accès», détaille Taoufik Melayah que certains patrons affublent du sobriquet de «Monsieur Afrique de l’Utica».
Pour Ali Chelbi, Pdg du cabinet, de conseil aux entreprises AC Consulting, le choix de l’Uemoa est d’autant plus judicieux que la Tunisie a paraphé un accord commercial avec cette sous-région africaine. Cet accord qui n’est pas encore entré en vigueur prévoit notamment une levée des barrières douanières réciproques sur une large liste de produits, ainsi qu’un renforcement de la coopération technique.
Dupliquer le modèle marocain…
La première mouture de la stratégie de conquête des marchés africains préconise également l’octroi de lignes de crédit d’un montant allant de 10 à 15 millions de dinars gérées par le Fonds de promotion des exportations (Foprodex) et destinées au financement des exportations vers l’Afrique.
Dans ce même registre, l’intérêt se porte aussi sur la création d’une banque de financement de commerce extérieur sur le modèle la Banque marocaine du commerce extérieur (Bmce Bank) ainsi que sur l’encouragement des banques tunisiennes déjà existantes à s’implanter sur le continent. Et la reproduction du modèle marocain ne s’arrête pas là. D’autant plus que la feuille de route recommande l’activation de la diplomatie économique.
Ainsi, il est prévu d’étoffer les réseaux des ambassades et des représentations diplomatiques tunisiennes en Afrique subsaharienne. Ces représentations seront, par ailleurs, appelées à œuvrer pour faciliter la participation la participation des entreprises tunisiennes aux foires et salons africains et se doter de cellule de veille économique.
D’autre part, la stratégie de conquête des marchés africains recommande aux acteurs économiques d’aller au-delà de l’exportation des biens pour favoriser l’apparition d’une coopération multiflore qui épouse les caractéristiques structurelles de l’économie tunisienne, basée sur les services, la formation du capital humain et la promotion du bien-être social. Ainsi, il sera procédé à l’attraction d’un plus grand nombre d’étudiants africains par les universités tunisiennes et au développement des exportations des services comme les soins médicaux et l’ingénierie informatique.
Et last but not least, la feuille de route recommande de communiquer massivement sur les «success-stories» des entreprises tunisiennes déjà présentes en Afrique subsaharienne comme le groupe Soroubat qui a décroché plusieurs contrats dans le domaine de la construction d’autoroutes en Afrique de l’ouest ou encore la Banque de l’Habitat, le partenaire technique des banques spécialisées dans le crédit immobilier au Congo, au Mali et au Burkina-Faso.