Renforcer les dépenses sociales sans alourdir la dette publique. L’équation de la loi de finances complémentaire 2012 semble difficile à résoudre dans un contexte de récession économique nationale et internationale. Paroles d’experts…

Par Wahid Chedly


«Le projet de loi de finances pour l’exercice 2012 prévoit l’affectation d’une enveloppe supplémentaire de 2,5 milliards de dinars à des dépenses à caractère social».  C’est en ces termes que Slim Besbès, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Finances, a résumé les principales orientations de la loi de finances complémentaire, actuellement  en cours de discussion à l’Assemblée nationale constituante (Anc), lors d’un petit déjeuner débat organisé samedi 5 mai à Tunis par le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (Cjd), dépendant de l’Utica (centrale patronale) et la fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung.

Rappelant que le budget global  s’élève à 25,40 milliards de dinars, en hausse de 10,7% en comparaison avec la loi de finances initiale et de 22% par rapport au budget de 2011, M. Besbès note que les dépenses sociales prévues visent à répondre autant que faire se peut aux aspirations d’une population qui s’est révoltée contre le chômage, l’injustice sociale et les inégalités régionales.

L’augmentation des dépenses concernera aussi bien les dépenses de gestion qui seront en hausse de 1,24 milliard de dinars (+9,2%), par rapport à la version initiale de la loi de finances, que les dépenses de développement, dont le montant global augmentera de 1,2 milliard de dinars, ce qui représente une hausse de 23%.  Les dépenses supplémentaires de gestion concerneront notamment les subventions des prix des carburants et la couverture de l’augmentation de la masse salariale dans le secteur public.

La hausse des dépenses de développement provient, quant à elle, de l’allocation d’une enveloppe supplémentaire d’un milliard de dinars au développement régional, de l’augmentation des dépenses allouées à l’emploi (de 411 à 511 millions de dinars, MD) et de l’allocation d’un budget de 100 MD à un programme de construction de logements sociaux.

 

Fayçal Derbal

Les réserves provenant de la privatisation à la rescousse

M. Besbès a précisé, d’autre part, que  les nouvelles dépenses prévues seront couvertes exclusivement par des recettes provenant des ressources propres de l’Etat. «Un milliard de dollars sera puisées dans les réserves provenant de la privatisation et plus précisément des fonds générés par la cession de 35% du capital de Tunisie Télécom et 1,2 milliard de dinars proviendront de la vente des entreprises du clan Ben Ali confisquées par l’Etat», a-t-il précisé.

Volet ressources fiscales, l’Etat table sur la mobilisation de recettes additionnelles de l’ordre de 750 MD. «Ce montant doit être mobilisé grâce à des mesures fiscales énergiques. Il s’agit notamment de l’abandon des pénalités de retard et des poursuites au titre des déclarations fiscales non déposées contre les entreprises qui procèderont à la déclaration dans un délai ne dépassant pas le 30 septembre 2012, de l’assainissement des registres des comptables publics et de l’ajustement des droits de timbres et d’enregistrement», a indiqué le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Finances.

Selon lui, le gouvernement pourra ainsi éviter le recours aux ressources d’emprunt, qui alourdissent inéluctablement la dette publique. Le projet de loi de finances complémentaire, prévoit, en effet, des ressources d’emprunts globales de 5,75 milliards de dinars contre 6,79 milliards de dinars prévus par  la loi de finances initiale.

 

Slim Besbes

Creusement du déficit budgétaire et croissance à crédit!

Des experts présents au petit déjeuner-débat ont, toutefois, estimé que l’équation préconisant le renforcement des dépenses sociales et la préservation des équilibres macro-économiques, tout en limitant le recours aux emprunts, est très difficile à résoudre dans un contexte de récession économique.

«S’il est vrai que des signes de reprise économique se font sentir, il n’en demeure pas moins que le taux de croissance de 3,5% prévu par la loi de finances 2012 est très ambitieux et difficile à réaliser dans un environnement économique global maussade. Cela est d’autant plus vrai qu’il sera très difficile de remonter aussi vite la pente après la croissance négative réalisée l’an passé (-2,2%). Le Fmi a d’ailleurs révisé ses prévisions de croissance de l’économie tunisienne de 3,6 à 2,2%», a noté  Fayçal Derbal, président d’honneur de l’Ordre des experts comptables de Tunisie, rappelant au passage que la mauvaise notation souveraine de la Tunisie datant de fin 2011 (BBB-) vient d’être confirmée par les principales agences de notation.

L’expert comptable a, d’autre part, fait savoir que le creusement du déficit budgétaire, qui devrait s’élever à 6,6% du Pib en 2012, est synonyme d’une croissance à crédit.

Mabrouk Maâlaoui, ancien directeur de la législation fiscale au ministère des Finances, a, quant à lui, qualifié d’«infime» le budget de l’Etat pour l’exercice 2012. «C’est à peine huit fois le chiffre d’affaires d’une grande entreprise tunisienne», a-t-il déploré.

Cet enseignant de fiscalité à l’Université de Tunis a également estimé que le gouvernement aurait pu exploiter le faible taux d’endettement du pays pour se doter d’un budget plus conséquent surtout que les emprunts extérieurs seront assortis cette année d’une garantie américaine. «La Tunisie n’est pas un pays endetté. La dette publique du pays ne dépasse pas 45% du Pib contre plus de 80% en France et plus de 120% en Italie», a-t-il souligné.

Et, last but not least, l’expert en fiscalité a estimé que les niveaux élevés de l’impôt sur les salaires prévus par la loi de finances n’encouragent pas la consommation. «En Tunisie, l’impôt sur les salaires représente 18% des ressources fiscales globales contre 5,7% seulement en Chine, où la croissance économique est essentiellement tirée par la consommation intérieure», a-t-il  ainsi indiqué.