Au-delà du cas du journaliste à Nawaat, en grève de la faim depuis lundi, se pose encore une fois la question du journaliste qui ne veut plus être tenu «en laisse» par le pouvoir.
Par Jamel Dridi
La Tunisie se réveille d’une ère où la presse fût la chienne du pouvoir. Docile à souhait et tenue en laisse, elle n’a fait que le lécher sous peine d’être frappée jusqu’au sang. Il n’est plus question de revenir à cette période terrible où la plume ou la caméra du journaliste fut l’esclave d’un pouvoir qui a voulu maintenir son peuple dans la nuit intellectuelle et la désinformation. Le combat pour une presse libre sera désormais permanent et ne s’arrêtera jamais.
Tous les pouvoirs ont des zones d’ombre
Car tout pouvoir, quel qu’il soit, porte en ses gènes le reflexe du secret et de la domination sans partage qui le conduit généralement à abuser et à faire taire ceux qui le dénonce. S’il n’est soumis à un aucun contrôle, ce pouvoir surpuissant pervertit ceux qui le possèdent et les conduit généralement vers l’enrichissement illégitime sur le dos du peuple ou vers l’augmentation de leur liberté en emprisonnant leurs opposants et en transformant des citoyens libres en esclaves.
Aucun pouvoir ne souhaite donc être soumis à la lumière journalistique. Comme tout être qui cache ses défauts, lui fera tout pour soustraire du grand jour ses zones d’ombres.
Le régime de Ben Ali l’avait bien compris. Après avoir «acheté» de nombreux journalistes tunisiens et étrangers, il a jeté en prison et torturé les autres, les insoumis porteurs de la parole contradictoire dont l’honnêteté n’était pas monnayable.
Le régime de Ben Ali voulait volontairement maintenir le Tunisien et le monde aveugle sur son côté liberticide et ses abus. Il a réussi à le faire car l’information fut enchaînée.
Ramzi Bettibi examiné par un médecin, son état se détériore.
Il faut accepter les nouvelles règles du jeu
Les pouvoirs (militaire compris) d’aujourd’hui doivent accepter la critique et la contradiction. Ils doivent accepter que la lumière soit faite sur les événements qui touchent le Tunisien comme les procès en cours concernant les martyrs de la révolution tunisienne.
Ils ne doivent pas essayer de s’opposer au fait que les médias révèlent toutes ces zones d’ombres. Et même s’il s’y opposaient comme au temps de Ben Ali, des bloggeurs, journalistes «pirates» ou «anonymes» feront des révélations car il n’est plus possible de contrôler et bloquer totalement l’information avec les moyens de communication actuels.
Ce sont là, d’ailleurs, les règles du jeu pour lesquelles se sont si longtemps battues des personnes comme Moncef Marzouki ou Rached Ghannouchi quand ils étaient en exil et privés de parole. De l’étranger, ils ont tant de fois reproché au dictateur son manque de transparence et la gestion mafieuse du pouvoir.
Aujourd’hui, les règles du jeu concernant la transparence dans l’information sont les mêmes pour tout le monde et tous les pouvoirs. L’institution militaire qui, jusqu’aujourd’hui, a une excellente image au sein de la population tunisienne ne sortirait donc pas grandie si une solution préservant les droits de Ramzi Bettaieb n’est pas urgemment trouvée montrant par la même occasion que la Tunisie est sur la bonne voie de la liberté d’informer.
* Notre confrère Ramzi Bettibi est entré, depuis lundi, en grève de la faim sauvage pour dénoncer la manière avec laquelle l’institution militaire traite les procès des martyrs.
Lors des plaidoiries dans l’affaire des martyrs de Thala, Kasserine, Tajerouine et Kairouan, lundi 21 mai, au tribunal militaire du Kef, la police militaire a confisqué 2 mini-caméras vidéo Flip (caméras de la taille d’un téléphone, adaptées à Internet) au journaliste de Nawaat. Cette décision a été mal accueillie par l’équipe de Nawaat surtout que les procès des martyrs de la révolution ne sont pas diffusés par la télévision nationale.
Jamel Mkadmi et Jihed Mabrouk, blessés de la révolution, en visite à Nawaat pour supporter leur Ami Ramzi dans sa grève de la faim à laquelle Jihed veut se joindre.
Ramzi Bettibi est entré, depuis lundi, en grève de la faim sauvage pour dénoncer la manière avec laquelle l’institution militaire traite les procès des martyrs.
En effet, les journalistes ne peuvent filmer que 3 minutes de ces procès historiques et importants pour notre mémoire collective. Nawaat semble également être dans la ligne de mire de l’institution militaire, le commandant Mohamed Tekkari aurait carrément confié à Ramzi que leur site les dérangeait beaucoup.
A travers cette grève de la faim, Ramzi Bettibi espère récupérer les 2 mini-caméras mais surtout rendre les procès des martyrs publics et accessibles aux journalistes et militants des droits de l’Homme, comme l’ont demandé auparavant les familles des martyrs à travers une marche de protestation.