«Entre violences et pressions morales, l’espoir s’amenuise de voir appliquer les nouvelles lois concernant les médias en Tunisie», estime l’organisation Reporters sans frontières dans le communiqué ci-dessous.


«Plus de six mois après leur promulgation et malgré les appels répétés de plusieurs associations de la société civile, de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), et de nombreuses organisations de défense de la liberté d’information, parmi lesquelles Reporters sans frontières, les décrets-lois 115-2011 et 116-2012 concernant respectivement la presse et l’audiovisuel ne sont toujours pas appliqués.

La réforme des médias au point mort

Le gouvernement, qui a manifesté sa volonté que soient amendées les nouvelles lois encadrant les médias avant leur application, avait organisé les 27 et 28 avril derniers, une consultation nationale sur le cadre juridique du secteur de l’information en Tunisie. Consultation qui n’a débouché sur aucune proposition ni prise de décision concrète.

Le mouvement de réformes entamé au lendemain de la révolution se trouve aujourd’hui au point mort. L’absence d’application des décrets-lois freine le renouvellement du paysage médiatique audiovisuel et empêche l’émergence d’un véritable pluralisme de l’information dans le pays. En outre, il règne une situation de flou juridique, particulièrement dangereuse pour la liberté de la presse. Par ailleurs, les juges continuent à utiliser le code pénal pour museler les médias, notamment l’article 121, paragraphe 3, qui sanctionne les “atteintes aux bonnes mœurs”. En l’absence de législation régissant Internet, le recours au code pénal est systématique pour juger les écrits publiés en ligne.

Reporters sans frontières demande la libération immédiate de Jabeur El-Mejri, incarcéré sur la base de l’article 121, paragraphe 3, et du code de la communication, pour avoir publié des caricatures du prophète sur sa page Facebook et dont la peine de sept ans et demi de prison a été confirmée, le 25 juin dernier, par la cour d’appel de Monastir. L’organisation demande également l’annulation des poursuites prononcées contre lui, tout comme celles visant Ghazi El-Beji, condamné par contumace à sept et demi de prison pour le même motif, actuellement réfugié en Europe où il tente d’obtenir le statut de réfugié politique.

Les menaces de la censure religieuse

“Quelques jours seulement après les troubles qui ont suivi l’attaque de l’exposition du palais Abdellia à La Marsa, la confirmation en appel de cette condamnation renforce notre inquiétude de voir s’établir durablement une censure religieuse en Tunisie”, s’est alarmée l’organisation, qui a par ailleurs déploré le caractère inique du procès et les conséquences que celui-ci pourrait avoir sur l’avenir de la liberté de la presse dans le pays.

“Une peine aussi lourde ne peut qu’encourager le retour de l’autocensure. Depuis le procès Nessma et l’incarcération de Nasreddine Ben Saida, patron d’Attounissia, la sévérité des sanctions va crescendo dans les affaires ayant trait à la morale. La disproportion des peines et l’insécurité dans laquelle évoluent les professionnels de l’information sont autant de signaux inquiétants pour l’avenir”.

Parallèlement aux procès, les journalistes sont les cibles d’actes de violence, dans un climat de totale impunité. Sous prétexte de manquer de respect à la morale ou à la religion, des professionnels de l’information sont régulièrement pris à partie par les membres de mouvances islamistes et salafistes. Reporters sans frontières appelle les autorités tunisiennes à faire preuve de fermeté à l’égard des agresseurs, quels que soient leur identité et leurs discours, et de rappeler à tous que rien ne justifie la violence. La liberté d’expression, ainsi que la liberté de l’information doivent être garanties et protégées dans la Tunisie de l’après Ben-Ali.»