Lotfi Zitoun, ministre conseiller auprès du Premier ministre chargé des Affaires politiques, l’homme qui passe le plus dans les médias audio-visuels, estime que le «paysage médiatique tunisien à sens unique». Il ne croit pas si bien dire…


M. Zitoun, qui intervenait vendredi, lors d’une conférence de presse au palais du gouvernement à la Kasbah, pense que les médias tunisiens ne font pas assez pour lui et pour le gouvernement Hamadi Jebali dominé par le parti islamiste Ennahdha. Il a même trouvé le moyen de dénoncer les médias qui «attaquent le gouvernement élu» et qui, «en l’absence de l’opposition», se mettent à jouer le rôle de celle-ci. Ce qui est, on le sait, l’exact contraire de la réalité que les Tunisiens observent tous les jours en regardant leurs télévisions.

Les journalistes soumis sont toujours les meilleurs

L’interview de Rached Ghannouchi, il y a quelques jours sur la chaîne nationale Al-Watania 2, où trois confrères étaient invités à servir la soupe au leader du part Ennahdha au pouvoir, dans la pure tradition de l’information sous les régimes autoritaires, est le démenti parfait des allégations de M. Zitoun.

Ce dernier a aussi affirmé que le gouvernement a été surpris par l’annonce de la dissolution de l’Instance nationale de réforme de l’information et de la communication (Inric). Cette démission, rappelons-nous, a été justifiée, à juste titre d’ailleurs, par l’absence de volonté du gouvernement d’avancer dans le processus de réforme des médias et par le constat d’une volonté de ce même gouvernement de reprendre le contrôle direct des médias, notamment publics.

On achève bien la réforme

M. Zitoun, qui a affirmé que «le dossier de la réforme de l’information est aujourd’hui entre les mains de l’Assemblée Constituante où la troïka jouit d’une majorité confortable», indique, non sans une pointe d’ironie, l’orientation de la réforme que le gouvernement cherche à mettre en place dans le secteur de l’information. On peut, en effet, faire confiance à la «majorité» (sic !), qui sévit au sein de la Constituante, pour vider de toute sa substance la réforme préconisée par l’Inric, et qui vise surtout à libérer l’information de l’emprise du pouvoir exécutif.

«La loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics donne la priorité aux propositions présentées par le gouvernement», a d’ailleurs précisé M. Zitoun. Une manière de dire : les propositions de réforme avancées par la profession et la société civile ne seront pas prises en compte. On peut aisément imaginer la suite: le nouveau Abdelwaheb Abdallah est en train d’être intronisé…

Ces journalistes de Ben Ali recyclés par Ennahdha

Abusant de la même mauvaise foi, M. Zitoun a appelé le Syndicat national des journalistes (Snjt) à publier la liste des journalistes accusés de corruption et d’être impliqués avec l’ancien régime, affirmant que «le gouvernement l’aidera dans ce dossier à travers la justice», sachant bien que seul le gouvernement, le sien en l’occurrence, qui détient les archives de la police politique et de l’Agence tunisienne de communication extérieur (Atce), possède les preuves tangibles de la collaboration des journalistes ripoux avec l’ancien régime.

Pourquoi le gouvernement Jebali ne veut-il pas ouvrir ces archives? Que cherche-t-il à cacher? Et si le gouvernement essaie d’utiliser les dossiers de corruption comme un moyen de pression sur les journalistes ripoux pour obtenir leur collaboration avec le gouvernement Ennahdha?

C’est ce qui explique, d’ailleurs, toutes ces barbes que se sont laissé pousser les anciens sbires de Ben Ali qui se bousculent aujourd’hui au portillon du parti au pouvoir…

Les Tunisiens – et pas seulement les journalistes – ne sont pas dupes, et ils ne se laisseront plus jamais berner par une nouvelle dictature.

Imed Bahri