L’organisation internationale de défense de la liberté d’expression a publié un communiqué où elle estime que le projet de structure de contrôle de tous les médias est incompatible avec les principes de la démocratie.
Article 19 est préoccupé par un projet d’article sur la régulation des médias préparé par la commission des instances constitutionnelles et qui va être débattu par l’Assemblée constituante de la Tunisie.
L’article crée une structure de contrôle de tous les médias qui n’est pas compatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. L’article contient des garanties insuffisantes pour la liberté des médias. En outre, malgré son caractère fondamental, l’article n’a pas été rédigé avec suffisamment de débats publics.
Article 19 s’interroge d’autant plus sur le bien-fondé de cette initiative qu’un décret créant une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) a déjà été développé et adopté le 2 novembre 2011. Le décret 2011-116 a fait l’objet de nombreux débats et analyses en 2011 et jeté les fondations des nouveaux médias audiovisuels indépendants.
Article 19 appelle donc les initiateurs du projet d’article à retirer cette proposition. Article 19 demande instamment au gouvernement et à l’Assemblée constituante de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre le décret 2011-116 et en particulier la création de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle.
En juillet 2012, la commission des instances constitutionnelles de la Tunisie a préparé un projet d’article visant à réformer le secteur de l’information. Le projet d’article stipule la création d’un «organisme publique chargé de l’organisation, de la régulation et du développement du secteur de l’information, ainsi que de la garantie de la liberté d’expression et d’information, du droit d’accès à l’information et de la consécration d’un paysage médiatique pluraliste et crédible».
L’article stipule que «cette autorité qui disposera d’une autonomie administrative et financière sera composée de neuf membres indépendants, neutres et honnêtes, dotés de compétences et d’expériences. Ces derniers seront élus par le pouvoir législatif pour une période de cinq ans non renouvelables.»
Article 19 est préoccupée par le fait que l’Assemblée constituante de la Tunisie débatte d’une réforme fondamentale des médias sans fournir de base juridique solide. Les questions régies par l’article impliquent un contrôle sur les médias et méritent donc une réglementation complète et détaillée. Compte tenu de la longueur des législations traitant du même sujet de par le monde, nous notons que l’article tunisien, qui contient une seule disposition, est sans précédent.
Article 19 fait observer que la régulation des médias concerne le droit à la liberté d’expression parce que, par sa nature même, la régulation comprend une restriction à la liberté des médias.
Par conséquent, les autorités de régulation doivent être pleinement conscients des traités internationaux qui régissent les obligations des États de protéger, respecter et promouvoir la liberté d’expression. En particulier, les régulateurs des médias en Tunisie se doivent de prendre en compte l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pidcp), l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et la Déclaration des principes sur la liberté d’expression en Afrique.
Article 19 considère que l’article n’est pas conforme aux obligations internationales de la Tunisie de respecter, protéger et promouvoir la liberté d’expression et la liberté des médias. Nos préoccupations spécifiques ont trait à la structure centralisée du contrôle sur le secteur de l’information; l’absence de garanties d’indépendance des autorités de régulation; des garanties insuffisantes pour la liberté de la presse, et l’absence de consultations sur l’article.
La structure centralisée de contrôle réglementaire
L’article met apparemment l’ensemble du secteur de l’information sous le contrôle centralisé d’un organisme de régulation avec un large éventail de fonctions et des pouvoirs illimités. Cette structure de contrôle de l’information ne peut être décrite comme étant compatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. Les médias, les télécommunications et les secteurs postaux devraient être réglementés par des organismes distincts avec des pouvoirs et des devoirs différents.
Réglementation par l’État de la presse écrite
L’article semble mettre la presse écrite sous le contrôle de cette autorité de régulation. Article 19 note que si les services de radiodiffusion sont réglementés par l’État et sous le contrôle d’un organe statutaire, la presse est normalement autorégulé et contrôlé par un conseil de presse indépendant de l’État. Les membres de ce conseil sont élus parmi les acteurs majeurs de la presse écrite tels que les journalistes, les propriétaires de médias, les éditeurs et les représentants de la société civile. En d’autres termes, l’État ne devrait pas réglementer la presse écrite.
Insuffisance des garanties d’indépendance
L’indépendance des instances, qui exercent des pouvoirs de régulation sur les médias, est l’une des garanties essentielles pour la liberté de la presse. Par conséquent, l’article devrait inclure des dispositions accordant aux instances compétentes de régulation des pouvoirs leur permettant d’accomplir leurs tâches de manière efficace, indépendante et transparente. L’article précise que l’organisme de régulation dispose d’une autonomie administrative et financière. Cette disposition n’est pas suffisante pour garantir l’indépendance de l’instance de régulation.
- L’article ne mentionne pas la position de l’organisme de régulation dans le système administratif de l’État. Normalement, les lois sur les médias proclament l’indépendance de l’instance et établissent que structurellement, il s’agit d’une entité juridique distincte. La formation d’une entité juridique distincte permet la séparation fonctionnelle entre l’instance de régulation et le gouvernement ou d’autres entités, et limite les risques de partialité.
- En outre, contrairement aux normes internationales, l’article n’interdit pas à tout organisme ou personne autre qu’un tribunal ou qu’un juge de donner des instructions ou d’annuler l’une des décisions du régulateur.
- L’article ne précise pas les pouvoirs de l’organisme de régulation. Cette situation est problématique à la fois sur le plan de son indépendance vis-à-vis du gouvernement et de la protection des médias contre les abus de pouvoir par l’organisme lui même. Normalement les instances de régulation sont responsables de la mise en œuvre de la législation et ont des pouvoirs spécifiques afin qu’elles puissent agir sur des cas spécifiques, et adopter des règlements et directives.
- L’article omet également d’indiquer les sanctions que l’organisme de régulation peut imposer et les approches qu’il devrait suivre afin de mettre en œuvre la loi. L’Article ne précise pas non plus si les décisions de l’organisme de régulation sont contraignantes, et les personnes qu’elles peuvent cibler.
Nous constatons que, pour être indépendant, l’organisme de régulation devrait être équipé de moyens financiers suffisants. Il devrait y avoir des arrangements juridiques pour son financement, conformément à un plan clairement défini, de manière à lui permettre de s’acquitter de ses fonctions pleinement et de façon indépendante. La procédure d’attribution du budget doit être objective et transparente. L’organisme de régulation devrait être en mesure de faire une proposition motivée de son budget. Tout refus par le gouvernement devrait être dûment justifié.
Le manque de garanties concernant la nomination et le licenciement de ses membres
L’article ne garantit pas l’autonomie du processus décisionnel de l’instance de régulation, car il ne contient pas de règles sur les nominations et révocations de ses membres. La disposition prévoyant que les membres de l’organisme de réglementation doivent être élus par le parlement ne constitue pas garantie suffisante pour son indépendance.
- Nous constatons que les gouvernements abusent fréquemment de leur majorité parlementaire afin de mettre au sein des instances de régulation des personnes qui leur sont entièrement dévouées.
- Nous considérons que la meilleure approche consiste donc en la nomination des membres de l’organisme de régulation par des organisations publiques et de la société civile, afin que les membres représentent l’ensemble de la société.
- Alternativement, la procédure de nomination des membres devrait exiger la participation d’organisations autres que le parlement (telle que la présidence) et une majorité qualifiée au parlement afin d’empêcher le contrôle de l’autorité de régulation par un ou plusieurs partis politiques. Les membres de l’autorité de régulation ne devraient pas être membres du parlement ou du gouvernement, et ne devraient pas avoir exercé des fonctions gouvernementales, électorales, partisanes ou politiques.
- Les règles d’incompatibilité devrait aller au-delà des parties politiques et inclure l’industrie de la radiodiffusion: les intérêts des entreprises pourrait avoir des répercussions sur l’indépendance du régulateur. Les membres de l’autorité de régulation ne devraient pas exercer des fonctions au sein des médias, ou avoir un intérêt économique qui pourrait conduire à un conflit d’intérêts.
Absence d’un système de pouvoirs et contre-pouvoirs
Article 19 considère que l’article ne contient pas de garanties suffisantes pour la liberté des médias, car il n’existe aucun système contrôlant que l’autorité de régulation ne s’écarte pas de son mandat, ne s’engage pas dans des pratiques de corruption, ou ne devienne inefficace. Le système de contrôle devrait comprendre des exigences de redevabilité, transparence et vérification. Normalement, la responsabilité publique exige que l’autorité de régulation remette des rapports réguliers au parlement.
Insuffisante consultation publique
Article 19 est préoccupée par le fait que l’Assemblée constituante de la Tunisie considère une réforme fondamentale de l’information qui n’a pas été proprement débattue par le public et les professionnels des médias et des experts. La participation exige des mesures proactives pour protéger les intérêts des parties prenantes et permettre un équilibre efficace de leurs priorités respectives.
Recommandations
- Article 19 exhorte les initiateurs du projet d’article à retirer cette proposition.
- Article 19 demande instamment au gouvernement et à l’Assemblée constituante de mettre en œuvre les dispositions du décret 2011-116 et en particulier la création de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica).
Source: communiqué.