Avec Ben Ali, tout allait bien en Tunisie et les médias n’avaient pas le droit de dire le contraire. Avec Rached Ghannouchi, tout va bien en Tunisie, sauf que les médias essayent de tout foutre en l’air.

Par Imed Bahri


 

Voilà, dit de manière schématique, la seule différence qui existe (pour le moment) entre l’ancien régime tombé le 14 janvier 2011, et celui qui lui a succédé, porté par le parti islamiste Ennahdha.

Faut-il faire taire les médias?

C’est une différence de ton, en quelque sorte. Mais le ton, on le sait, peut changer à tout moment. Les signes avant-coureurs de ce changement sont d’ailleurs déjà perceptibles. Et d’abord dans les déclarations incendiaires des dirigeants d’Ennahdha concernant les médias, accusés d’être la cause de tous les maux de la société tunisienne actuelle.

Les grèves des travailleurs inquiets de l’effritement de leur pouvoir d’achat, les interminables sit-in des chômeurs de longue durée, les villes transformées en décharges publiques à ciel ouvert, les agressions des groupes extrémistes religieux contre les citoyens et surtout les femmes, les coupures d’eau et d’électricité devenues régulières dans plusieurs régions du pays, etc., tout cela n’est tout de même pas inventé par les médias. Ghannouchi ne peut pas dire le contraire. Sauf qu’il estime que les médias, en s’attardant sur tous ces faits là, ajoutent de l’huile sur le feu. De là à penser qu’il va falloir les faire taire définitivement, il n’y a qu’un pas que Ben Ali avait fait en son temps, et que M. Ghannouchi ne va peut-être pas tarder à le faire, lui aussi.

Au lieu d’essayer de serrer les boulons d’une «troïka» (coalition tripartite au pouvoir) qui prend de l’eau partout, de corriger les erreurs (parfois même les bêtises) que multiplie le gouvernement Hamadi Jebali, de remplacer les ministres incompétents (et ils sont nombreux) de ce cabinet réunissant d’anciens détenus ou exilés politiques sans expérience et sans connaissance des problèmes réels du pays, d’essayer d’écouter les doléances des Tunisiens qui voient leurs conditions de vie se dégrader au fil des jours…, M. Ghannouchi s’emporte contre les médias qui, selon lui, «menacent l’unité du pays» (pas moins !).

Ghannouchi se trompe d’adversaire et de diagnostic

Dans un discours prononcé le 5 août au cours d'une causerie ramadanesque organisée par le bureau d'Ennahdha à Bab Bhar où il défend son parti et le gouvernement de la "troïka", M. Ghannouchi part en guerre contre les médias et leurs discours «guerriers». Des médias qui selon lui, attisent les tensions et dressent les partis politiques les uns contre les autres, comme si les partis n’étaient pas assez dressés, naturellement, les uns contre les autres, à commencer par le sien, qui cherche à imposer sa loi par tous les moyens. Et dont la dérive anti-démocratique est dénoncée, tous les jours, par les partis d’opposition. Cette accusation a d'ailleurs été réitérée, mardi, au cours d'une intervention sur la radio Mosaïque FM.

Selon le leader d’Ennahdha, la presse a accordé trop d’importance à un projet d’article de la future Constitution. Ce texte proposé par les députés d’Ennahdha évoque la complémentarité et non l’égalité entre hommes et femmes. Il aurait sans doute aimé que ce texte ne soit pas discuté et qu’il passe comme une lettre à la poste, comme cela se passait sous le règne de Ben Ali.

Non, M. Ghannouchi se trompe d’adversaire et, surtout, de diagnostic. La Tunisie sous le règne d’Ennahdha se porte mal, très mal, sur tous les plans: politique, économique et social. L’actualité nous en apporte quotidiennement la preuve. Et le rôle des médias n’est pas de taire cette réalité ou de l’embellir. Ce rôle là, ils l’ont assez joué sous l’ancien régime, et on connaît aujourd’hui le résultat.

Vidéo du discours prononcé par Ghannouchi lors d’une causerie ramadanesque organisée par le bureau d’Ennahdha à Bab Bhar, à Tunis, le 5 août, à la salle Al- Bouraq.