Papier et/ou numérique? En Tunisie, on semble encore à des années lumières de ce débat. Mais les journalistes et les patrons de presse devraient se préparer aux mutations qui s’annoncent et qui risquent de transformer profondément les habitudes des lecteurs et des… annonceurs.
En Tunisie, la presse papier continue de résister aux vents du changement. Ayant vu son lectorat traditionnel s’effriter – connaîtra-t-on jamais ses vrais tirages ? –, elle a négocié avec plus ou moins de succès le passage à internet, notamment en se dotant de sites vitrines. Si elle a perdu beaucoup de ses lecteurs, cette presse là a pu néanmoins, par un étonnant paradoxe, maintenir ses parts du marché de la publicité.
Pour n’avoir pas su marquer leur différence, les journaux en ligne, qui se sont multipliés ces dernières années, sont loin encore de constituer de redoutables concurrents aux journaux traditionnels. Pour preuve: leur part de l’enveloppe globale de l’investissement publicitaire reste, selon les chiffres de Sigma Conseil, inférieure à 1%.
Des plans et des stratégies
Pour l’une comme pour l’autre, les jeux sont donc loin d’être faits. Et il y a des places à prendre, surtout avec le développement exponentiel des nouvelles communications de masse. Des téléphones intelligents aux tablettes iPad: les supports évoluent et le lectorat change d’habitudes. Et d’attentes… Mais si en Tunisie, le débat semble inexistant, sinon timide et feutré, dans le reste du monde, la profession est en ébullition. On échafaude des plans et on élabore des stratégies. Exemple: le quotidien ‘‘Les Echos’’, qui a perdu entre 5 et 10 millions d’euros en 2009, pour un chiffre d’affaires de 100 millions, a lancé sa nouvelle formule à partir du 9 septembre, et, surtout, développé son offre sur le web.
Le quotidien économique français, qui souhaite augmenter la part des abonnements sur internet et les appareils mobiles, espère passer de 40.000 abonnés numériques actuellement, dont la plupart sont déjà abonnés au journal papier et bénéficient d’une offre couplée, à 50.000 à la fin de l’année.
Sur le web, la proportion des articles en accès payant a augmenté pour se situer à 80%. La mention ‘‘Lesechos.fr’’, simple vitrine pour le journal papier, va disparaître de la page d’accueil du site au profit d’une seule marque, ‘‘Les Echos’’.
Les promesses d’iPad
Le quotidien mise beaucoup sur son offre iPad. A l’instar de ‘‘Wall Street Journal’’, ‘‘Les Echos’’ vont proposer sur la tablette numérique, en plus du journal du matin, un «journal permanent» qui sera actualisé quatre fois au cours de la journée. Nicolas Beytout, Pdg du groupe, compte ainsi tirer profit de la fusion réalisée entre les rédactions web et papier. «Nous sommes un groupe qui produit de l’information en continu et qui, à la fin de la journée, boucle un journal», résume-t-il.
Aux Etats-Unis, où plusieurs quotidiens régionaux ont cessé de paraître ou basculé sur le web, les patrons de presse se sont rendus compte que les revenus d’internet ne suffiraient pas à faire vivre les rédactions, qu’il ne suffisait pas d’«être en ligne», et qu’il fallait trouver un système de paiement.
Le ‘‘New York Times’’ s’apprête, pour sa part, à mettre en place, début 2011, une sorte de «mur payant». Il va essayer de faire payer les articles mis en ligne sur son site web par deux groupes de lecteurs: ceux qui sont prêts à verser de l’argent parce que le ‘‘New York Times’’ est important pour eux et qu’ils souhaitent le faire vivre ; et les grands utilisateurs du site qui le visitent plusieurs fois par jour et trouvent pratique d’avoir accès à l’intégralité du contenu.
Offrir de la valeur ajoutée
Dans une interview au journal ‘‘Le Monde’’, Jay Rosen, professeur de journalisme à l’université de New York, explique ce système: «Selon le système retenu, il faudra payer après un certain nombre de visites. Mais le site restera gratuit pour un grand nombre de lecteurs. Ainsi, ceux qui y accéderont par Google News ou par un lien sur un autre site ne paieront pas.» M. Rosen, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes américains de la presse et un «gourou» des nouveaux médias, s’empresse cependant de mettre un bémol: «Pour que cela ait du sens de faire payer, il faut proposer un produit clairement supérieur à la concurrence. Les grands journaux pensent qu’ils apportent déjà beaucoup de valeur ajoutée. C’est difficile de les convaincre qu’il en faudra davantage s’ils passent au payant sur internet.»
Si internet, qui plus est payant, n’est pas la panacée pour aider la presse à sortir de sa crise actuelle, quelles autres solutions pourraient être envisagées? Quel serait le bon modèle économique pour un quotidien à l’heure d’internet et des tablettes numériques? Réponse de notre spécialiste: «Beaucoup de sources de revenus différentes, chacune rapportant peu: une application payante, une autre gratuite, une partie du site payante, l’autre non, des produits d’information très pointus, d’autres gratuits qui font la réputation du média. Vendre des produits dérivés, des services, etc.»
En Tunisie, on semble être encore à des années lumières de ce débat-là, mais les journalistes de la presse écrit et numérique devraient se préparer aux mutations qui s’annoncent et qui risquent de transformer de fond en comble les attentes et les habitudes des lecteurs et, surtout aussi, des annonceurs.
I. Bahri