Le regard posé sur les affaires publiques par les médias demeure un aiguillon dans la bonne gouvernance car, ici ou là, l'Etat garde encore la mainmise totale ou partielle sur l'information.
Par Samantha Ben-Rehouma
Samedi 26 janvier 2013 à l'hôtel Acropole Berges du Lac de Tunis a eu lieu le rendez-vous annuel de l'Open Sigma. Cet événement devenu incontournable – tout comme son maître de cérémonie Hassen Zargouni au meilleur de sa forme – est l'occasion chaque année pour les annonceurs, agences de communication, médias, publicitaires, experts médias et communication, journalistes, universitaires et étudiants de découvrir le bilan médias 2012 ainsi que les perspectives du marché 2013 en Tunisie.
Open Sigma, côté assistance...
Des chiffres et des lettres
C'est dans une salle comble qu'Hassen Zargouni, directeur général de Sigma Conseil, a fait une présentation très chiffrée du paysage médiatique en Tunisie mais également dans d'autres pays de l'Afrique du Nord.
Il en résulte que l'investissement publicitaire en Tunisie fait figure de parent pauvre - 3 heures de pub par chaine pendant ramadan et 58 minutes seulement hors ramadan, ce qui est très en-dessous des standards internationaux – avec ses 183,3 millions de dinars (MD) hors taxe, devant les 1.779,1 MD pour l'Egypte et les 1.268,7 MD pour le Maroc.
A comparer aussi le taux de 0,3% du Pib consacré à la publicité, soit un investissement de 16,7 dinars par habitant en Tunisie au 0,8% du Pib et 39,3 dinars par habitant au Maroc.
L'investissement publicitaire a néanmoins enregistré en 2012 une hausse de 28,4% et ceci est peut-être lié au fait que le Tunisien délaisse de plus en plus les chaines arabes pour les chaines locales (+9,8% de part d'audience), même si MBC4 (sûrement l'effet Mohand) reste la chaine la plus regardée dans le Maghreb avec 7,2 millions de spectateurs!
De gauche à droite, Larbi Chouika, Abdelkerim Hizaoui et Ridha Najjar parlent de la régulation audio-visuelle.
Attounissia TV confirme sa place de leader
Attounssia TV avec ses 49,9% de part d'audience durant le Ramadan confirme sa place de number one (24,2% de part d'audience pour son feuilleton ''Maktoub 3''), suivie par Nessma TV (40,4%), Hannibal TV (41,6%), Watania1 (16,2%), et en bout de chaîne on trouve Watania 2 (2,8%).
Concernant les JT, Watania1 reste au top avec 30,3% de part d'audience, même si son JT s'essouffle un peu (38,1% en 2011).
En résumé, avec 30,4% Attounissia TV est la chaine la plus regardée fin décembre 2012. Sur l'année, l'émission ''El Moussameh Karim'' sur Hannibal TV a obtenu le taux d'audience le plus élevé avec 38,9%. Notons que pour les deux mois de novembre et décembre, cette émission a été détrônée par ''Attassiaa Masaa'' et ''Andi Ma Nqoleq'', toutes deux sur Attounissia TV.
Enfin, l'interview de Béji Caïed Essebsi, en octobre 2012, a été le programme le plus regardé !
Syrine Chérif, DG Ogilvy Memac (17e agence de pub au classement mondial), Afifa Chiaoui, DG Mc Cann Network et Stéphane Martin, DG de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité en France (ARPP).
On the radio
Mosaïque Fm conserve, avec son million d'auditeurs en moyenne par jour, sa première place 28,1% de part d'audience (en progression de 7,6%) suivie par Shems Fm qui malgré ses 12,7% de part d'audience enregistre la plus belle progression: 146,5% soit 450.000 auditeurs en moyenne par jour. La Radio de tunisienne chaîne nationale (RTCN), quant à elle, reste en 3e position (358.397 d'auditeurs) mais perd 31,6% de ses parts, suivie de Zitouna FM (329.990) et Jawhara FM (273 852).
Ces chiffres sont cependant à prendre «avec des gants» car ils ne reflètent pas la radiophonie régionale, exemple : Radio Sfax qui à Sfax fait 44,7% d'audience! D'autre part, malgré ses 17,3 MDHT en 2010 de recettes pub, Mosaïque FM reste quand même leader avec 12,4 MDHT (+6,4%), et ce, par rapport à Jawhara Fm 7,3 MDHT (+2,3%), Shems Fm 5,5 MDHT (+50,3%) et Express FM 3,3 MDHT (+26,6%).
Le dossier de l'écran
Pourquoi et comment réguler les médias? Quelles sont les conditions de l'essor du marché de la production TV? Quid de la créativité publicitaire en démocratie?
Des trois thèmes discutés lors de cet Open Sigma, il faut surtout retenir celui de la régulation des médias. «Réguler n'est pas censurer. Il faut définir les métiers (faire la différence entre un diffuseur et un éditeur), définir le contrôle lors du lancement de nouvelles chaines, un cahier des charges doit se faire car on a beau avoir beaucoup de textes sur les médias il subsiste un vide juridique que seule la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) peut combler, même si cette dernière n'est pas un modèle en soi», dixit Ridha Najjar, expert en médias et ancien professeur à l'Ipsi.
A ce sujet, Abdelkrim Hizaoui, directeur du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (Capjc) et professeur à l'Institut de presse et science de l'information (Ipsi), Larbi Chouikha, membre de l'Instance nationale indépendante pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) ont eux-aussi souligné l'urgence de mettre en place cette Haica afin que professionnalisme, intelligence et rigueur régissent l'indépendance de cette instance. Ces qualifications ont d'ailleurs été le dénominateur commun de ces trois thèmes débattus.
Nulle part ailleurs
Avec ses 11 millions d'habitants et sa conjoncture socio-démocratique (taux de croissance de 1%, taux d'analphabétisme de 17,2% et taux de pauvreté avoisinant les 16% en 2010), la Tunisie offre nonobstant un paysage médiatique riche où la création existe certes même si elle reste en stand-by des rouages archaïques de l'administration. L'idéalisme ne suffit pas dans cette volonté d'enfanter une société nouvelle par la liberté d'expression. La rupture est brutale avec l'ordre ancien, mais l'enthousiasme qui déborde de partout ne cache guère l'évidence: les médias de cette post-révolution, souvent le fait de quelques «francs-tireurs» entrés par effraction dans le journalisme, sans références professionnelles solides sont loin de porter l'empreinte du professionnalisme.
Le regard posé sur les affaires publiques par les médias demeure un aiguillon dans la bonne gouvernance car, ici ou là, l'Etat garde encore la mainmise totale ou partielle sur l'information. Tout comme n'ont pas disparu les atteintes aux libertés et à leurs espaces d'expression. La possibilité d'expression plurielle à travers les médias, aussi bien pour la classe politique que pour les éléments de la société civile, joue aussi un rôle non-négligeable pour le renforcement de la démocratie, ne l'oublions pas!