Le ministre des Affaires étrangères, qui a pourtant vécu en Grande-Bretagne, ne sait pas que la mission du journaliste ne consiste pas à parler des réalisations du gouvernement, surtout lorsque ces réalisations sont inexistantes!
Par Moncef Dhambri
Lundi, le ''9 heures du Soir'' d'Attounissia nous a une fois de plus gratifiés d'un nouvel accrochage entre notre confrère Moez Ben Gharbia et un dirigeant nahdhaoui, cette fois-ci, avec Rafik Abdessalem, le ministre des Affaires étrangères sortant.
La difficulté de justifier l'injustifiable
Du début de l'émission jusqu'à la fin, M. Abdessalem était mal à l'aise. Et il ne pouvait en être autrement, car sa mission, qui consistait à défendre l'indéfendable bilan nahdhaoui, était impossible, voire un véritable kamikaze. Il était gêné sur tous les dossiers. Il en perdait ses repères, bégayait, bafouait, transpirait... et, surtout, face à l'assurance très visible des autres invités, notamment un seigneurial et serein Taïeb Baccouche (Nida Tounes) – une grosse pointure –, un Mohamed El-Hamdi, omniscient et précis (Alliance démocratique), et Ahmed Seddik, incisif et percutant (Front populaire).
L'on pouvait imaginer assez facilement que le ministre des Affaires étrangères démissionnaire n'allait pas faire le poids...
Pourtant, l'illusion a quelque peu duré.
Rafik Abdessalem a tenu bon, même si, à chacune de ses interventions, il avait le plus grand mal à justifier l'injustifiable, allant chercher loin, très loin, ses références et exemples, s'improvisant économiste et historien des idées, nous rappelant qu'il a vécu en Grande-Bretagne et relativisant ce qui ne peut être relativisé. Bref, il a pu ainsi bricoler quelques réponses qui ont meublé le temps qui lui était attribué, même s'il n'était jamais parvenu à convaincre.
A un point, alors que l'on s'y attendait peut-être le moins, le ministre démissionnaire n'en pouvait plus. Il se tourna vers Moez Ben Gharbia pour lui jeter à la face – à lui et à ses collègues «journalistes qui souhaiteraient que l'ancien régime revienne» – cette accusation de partialité et de manque de professionnalisme. A traiter l'information comme ils le font, les médias, selon M. Abdessalem, ont failli à leur mission. A ne voir, à n'évoquer et à n'insister que sur les aspects négatifs de ce qui a été réalisé depuis une quinzaine de mois, les journalistes auraient donc choisi de se ranger dans le camp de l'opposition.
Expliquant sa colère et sa décision de s'en prendre à son hôte, M. Abdessalem a enchaîné: «Il y a tant de choses positives qui auraient pu enrichir vos reportages et dont vous auriez pu parler (...) Je suis attristé de voir, par exemple, que vous éprouvez un malin plaisir à plaisanter avec la nouvelle que l'agence de notation Standard & Poor's ait abaissé la note souveraine de la Tunisie».
A chacun son rôle
Un nouveau clash en direct entre Moez Ben Gharbia et Rafik Abdessalem: les dirigeants d'Ennahdha n'aiment pas les médias et ne ratent aucune occasion pour le montrer.
Moez Ben Gharbia a vite dégainé et tiré, car il ne pouvait rater cette occasion pour asséner une réplique mortelle: «Nous avons cherché le positif, et il n'y en a pas...». Il rajoutera également une autre couche à sa riposte assassine en rappelant au ministre sortant que, dans ce jeu-là, chacun a son rôle: «Les médias ne parlent jamais des trains qui arrivent à l'heure. Et c'est ainsi partout dans le monde: le journaliste ne parle que du seul train qui arrive en retard».
Les enseignants de l'Ipsi devaient être fiers de Moez Ben Gharbia, qui a bien appris la leçon et la récite ainsi en direct, bien qu'il ne fut pas leur étudiant...
Eh oui, M. Abdessalem, les choses sont ainsi désormais, en Tunisie du 14 janvier. Et c'est à prendre ou à laisser.
Le quatrième pouvoir est un pouvoir à part entière et il doit s'exercer en toute liberté. Il n'a rien à avoir avec les trois autres. Bien au contraire, tout les sépare et c'est pour cette raison que les anglophones l'appellent «watchdog» (chien de garde). Il se démarquera toujours en fouinant pour trouver ce qui ne marche en politique, et il laissera ainsi aux politiciens le soin de dresser le bilan de ce qu'ils ont pu accomplir, devant les électeurs.
Le journaliste, lui, n'a de comptes à rendre qu'à ses lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Il est mû par une éthique. Il connaît les règles de sa profession et, le jour où il commet une erreur, le professionnel de l'information qui se respecte n'hésitera pas à la reconnaître et la corriger. Simple question de bon sens: c'est bien de la crédibilité de l'information que dépendent les ventes d'un journal et l'écoute d'une radio ou d'une chaine de télévision.