Par Jamel Heni

Mourad Zeghidi, le basané de Canal, refit apparition sur Tunis 7, lors de la CAN 2010. Il apporta à l’éphémère Stade 7 un punch vorace. Des boutades aussi. Son allant, sa gouaille et sa probité olympique détonnaient. Appelé à  improviser en direct le topo des joutes, il y allait  d’un cœur léger. Sans hésitation, une note ou deux pour tout  viatique. Fluide, frais, lucide, marrant... magistral.
Le verbe haut, sans la moindre surenchère vocale à  la «plus tu cries mieux on te paye» des speakers du Golfe! Mourad, le basané de Canal, s’exprimait en arabe, qui plus est littéraire ou assimilé. De  l’arabe, vous rendez-vous compte? Et par qui, chers amis? Eh bien par un french de chez french, beur ou presque, bien fagoté, très fashion, sans accent ni apostrophe, débarqué à l’instant de Paris!
Rien d'exceptionnel ? Oh que si. Mourad a changé. Du temps de feu Canal Horizon, mauvaise greffe de Canal plus en Tunisie, il «clochait» d’une langue l’autre, dans un franco-tunisien laborieux, recherché, harassant, où il se torturait à faire le gentle-beur, le In, le chic qui ne s’encombre d’aucune contrainte linguistique, le nouveau citoyen du monde, fils de son temps... Cela pour rester de bonne foi!

Ce choc permanent des deux langues sur ses lèvres, ce choc «émaillé» toutes les deux minutes par une hardiesse verbale, un mot balourd et malsonnant (encore pour rester poli!), ce choc des langues, qu’était-ce en réalité? La bagarre d’une seule bouche, la migraine franco-tunisienne qui prenait tous les animateurs, tous sans exception, pas la moindre, même texte même rôle, cette robotique bilingue, qu’était-ce ! Réponse sans détour: une ligne éditoriale !  
Nous n’irons pas par le dos de la cuillère, ce pugilat sémiotique n’est ni spontané ni authentique, il ne porte guère à l’écran le «parler» de la rue, ni les nouvelles mœurs bobos. Tout snobinard, tout motard, tout rebelle, que vous soyez, vous n’évoquerez pas la pluie et le beau temps aussi difficilement. A quoi bon faire compliqué ? Vous avez les mots simples de tous les jours, les conventions, les usages, les néologismes partagés, les délicieux francicismes, le français, l’italien et le maltais passés dans le sang, vous avez comme tous les hommes, un cortex linguistique qui s’est fabriqué son réseau neuronal stimulé par un contexte physique et humain particulier; et comme tout être vivant, une mémoire à long terme où demeurent stockés vos idiomes et leurs fameuses formules figées, vos génuflexions et jusqu’aux interjections les plus irrépressibles...

A Paris ou à Médine, l’homme parle une langue dont il ne décide pas seul. Ainsi de la communication: un pouvoir régalien du hasard des naissances. C’est ce que le basané de Canal a fini par comprendre, là-bas en Hexagone. Où l’on parle encore la langue de Molière à la télé... Il a retenu  qu’une langue n’est ni supérieure ni inférieure, mais tout juste à parler. Que l’idéologie francophile (ligne éditoriale de feu Canal Horizon) n’induit aucune hiérarchie des langues et qu’elle peut tout aussi bien se défendre en arabe. Qu’une francophilie arabe serait peut-être la meilleure façon de prouver l’universalisme des arts, de la culture  et de l'esprit français...
Canal Horizon est morte, vive Nessma. Même chanson. On se noue dans un refus du cortex linguistique, comme si on n’avait jamais regardé Mourad à Stade 7!