Les journalistes tunisiens, dont les libertés et les droits sont menacés par le nouveau pouvoir islamiste, ont profité de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse pour dire qu'ils n'entendent pas se faire museler de nouveau.
Par Zohra Abid
Des centaines de journalistes, soutenus par des dirigeants, ont organisé, à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, vendredi 3 mai, une marche de protestation, à Tunis, contre les menaces pesant sur leur profession, de la part du gouvernement, mais pas seulement. Ainsi, entre mai 2012 et mai 2013, il y a eu 196 agressions contre les gens du métier, soit 9 agressions par mois. C'est un chiffre record et beaucoup de journalistes font assumer au gouvernement la détérioration de la situation des médias dans le pays. D'autant que ses membres ne ratent aucune occasion pour s'en prendre aux journalistes et leur porter des accusations de toutes sortes.
Néjiba Hamrouni, la courageuse présidente du Snjt, au premier rang des manifestants.
Les membres du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), qui ont rendu vendredi, leur rapport annuel de 86 pages sur l'état de la presse en Tunisie, au cours d'une conférence de presse, à Tunis, n'ont pas manqué de tirer la sonnette d'alarme. Ils ont aussi appelé à poursuivre sans relâchement le combat pour les droits de la presse et à ne rien céder des libertés acquises au lendemain de la révolution. Car, le danger dans retour en arrière est toujours là.
Naziha Rejiba alias Om Zied, emblème de la résistance à la dictature de Ben Ali, reprend du service face à la dictature de Ghannouchi qui s'annonce.
Face à une nouvelle dictature en gestation
Le rapport souligne, à ce propos, la campagne de dénigrement contre les médias, menée par les partisans de la troïka, la coalition au pouvoir dominée par les islamistes d'Ennahdha. Ainsi que les agressions verbales des représentants du pouvoir contre les journalistes qui se sont été multipliées au cours de l'année écoulée. Plusieurs appels ont été lancés par des dirigeants politiques pour museler (et corriger) les journalistes qui sortent des sentiers battus de la propagande partisane. «Cognez sur les journalistes!», avait lancé le député d'Ennahdha et membre du Majlis Choura du parti islamiste Habib Ellouze à ses partisans au cours d'un meeting sur l'esplanade d'El-Kasbah.
Abdelwaheb El-Hani, président du parti Al-Majd, toujours aux côtés de ses amis journalistes.
«Nul n'ignore aujourd'hui que la guerre est là, contre les journalistes indépendants, souvent pris pour cible et agressés même physiquement au point que certains ont été menacés de mort», a déclaré l'un des membres du Snjt. Pis : le gouvernement, dirigé par les islamistes, cherche à étouffer les médias indépendants en faisant pression sur les directeurs des journaux, des radios ou autres chaines de télévision pour tenter d'influer sur leur ligne éditoriale. La nomination à la tête des médias publics de journalistes ayant travaillé auparavant dans le système de propagande de Ben Ali et qui se sont mis désormais au service d'Ennahdha, envenime encore la situation dans le secteur, comme le souligne le rapport annuel du Snjt.
Une mobilisation sans faille face aux menaces pour ne pas avoir à regretter le moindre relâchement.
L'affaire de Dar Assabah, qui a défrayé la chronique l'année écoulée et occupe 7 pages dans ce rapport, dénote cette volonté du gouvernement d'imposer son contrôle direct sur les médias. L'affaire du producteur de télévision Sami Fehri (Cactus Prod et Ettounissia TV), poursuivi dans une affaire de corruption et maintenu en détention en dépit de deux jugements de la cour d'appel de Tunis ordonnant sa libération, n'est guère rassurante quant à la disposition du gouvernement à respecter les normes internationales en matière de liberté de la presse. Autre objet d'inquiétude : la liste des journalistes et blogueurs comparus devant les juges au cours de l'année écoulée sur la base de lois obsolètes que l'ancienne dictature utilisait pour museler la liberté d'expression.
"Pas touche à la dignité du journaliste".
Ce sont ces signes avant-coureurs de l'instauration d'une nouvelle dictature qui ont conduit les journalistes à observer la grève générale du 17 octobre, largement observée par la profession et fortement soutenue par les composantes de la société civile (organisations, partis, associations, etc.).
Chokri Belaïd, l'absent présent
Après la conférence, les journalistes, tous supports confondus, réunis au siège du Snjt, ont organisé leur marche. A leur côté, plusieurs dirigeants politiques. De Abdelawahab El-Hani du parti El Majd à Lazhar Akremi, Noureddine Ben Ticha et Aïda Klibi de Nida Tounes, en passant par Hamma Hammami du Front populaire, le député Maher Hanin et saïd Aïdi d'al-jomhouri, Jounaidi Abdeljaouad d'Al-Massar et autres dirigeants d'Ettakatol – l'absence des responsables d'Ennahdha et de sa succursale Congrès pour la république (CpR) était tout de même très remarquée –. L'Union générale tunisienne de Travail (Ugtt) était représentée par Nabil Jemour, secrétaire général du Syndicat général de la culture et de l'information. Plusieurs avocats, ainsi que des représentants de la société civile et des médias étrangers ont pris part à la marche.
Les assauts de Ghannouchi et Marzouki contre la liberté de la presse mobilisent les journalistes dans un même élan de résistance.
Le grand absent de la marche de cette année a été, sans conteste, le martyr Chokri Belaïd, leader du parti Watad et du Front populaire, assassiné le 6 février dernier par un groupe d'extrémistes religieux proches d'Ennahdha. L'homme, qui a toujours plaidé la cause des journalistes, était présent, vendredi, dans le cœur de tous ceux qui ont pris part à la marche. D'ailleurs, parmi les slogans lancés à cette occasion, on retiendra ceux-ci : «Les journalistes veulent connaître l'assassin de Belaïd»; «Le journaliste a droit à l'information»; «Non à la censure» ou encore «Journalisme national, et non journalisme d'Ennahdha»...
Marquer l'événement et envoyer un message clair aux apprentis dictateurs, néo-fascistes, obscurantistes, nouveaux Trabelsi, qui essayent de confisquer la révolution et d'instaurer leur théocratie.
Le cortège était escorté par un nombre impressionnant d'agents de police. «C'est tant mieux. Au moins ils nous assurent la sécurité. Tout à l'heure, il y a eu quelques éléments perturbateurs appartenant aux Ligues de la protection de la révolution (LPR) qui ont tenté de s'infiltrer dans les rangs pour essayer de nous provoquer», a déclaré une avocate.
La marche, qui a commencé devant le siège du Snjt, à l'avenue des Etats-Unis, vers 11 heures, s'est terminée peu après 14H30 au centre de l'avenue Habib Bourguiba. Après les discours devant le Théâtre municipal de Tunis, tout le monde a été remercié, les banderoles pliées et la foule s'est dispersée. Dans le calme. Il fallait juste marquer l'événement et envoyer un message clair aux apprentis dictateurs, aux néo-fascistes, aux obscurantistes, aux nouveaux Trabelsi, qui essayent de confisquer la révolution, d'instaurer leur théocratie, de piller de nouveau le pays et de le soumettre aux agendas de quelque puissance étrangère: No pasaran !