La journaliste franco-tunisienne Hind Meddeb revient sur les circonstances de son arrestation, le jeudi 13 juin, en marge du procès du rappeur Weld El 15, dont la violence est, selon elle, la conséquence du système.
Par Moncef Dhambri
Invitée, hier, de l'émission «La nouvelle édition» de la chaîne française payante Canal+, Hind Meddeb a raconté l'histoire de ce qui est devenu son «combat contre les autorités tunisiennes», son interpellation, l'attitude de la police peu courtoise envers elle et ses démêlées avec la justice tunisienne parce que, selon les termes de l'animateur franco-marocain de l'émission, Ali Baddou, «elle soutenait le rappeur tunisien Weld El 15, qui venait d'être condamné à deux années de prison ferme».
''Dans quel pays vivons-nous?''
Hind Meddeb ne baisse pas les bras: pour elle, la mobilisation ne fait que commencer et une pétition, à cette fin, circule déjà sur Internet, pour soutenir «le jeune rappeur qui exprime son mécontentement et demande du changement dans son pays».
La journaliste travaille sur le rap tunisien depuis deux ans. C'est ainsi que son chemin professionnel a croisé celui de Weld El 15, de son vrai nom Alaeddine Yâcoubi, et de tant d'autres rappeurs tunisiens. D'ailleurs, insiste-t-elle, «ils sont devenus, pour la plupart, des amis».
Pour elle, les évènements se sont précipités, ce jeudi 13 juin. Elle raconte que «lorsque le verdict a été prononcé, le juge parlait vraiment tout bas et l'on n'a pas compris ce qu'il a dit. On s'interrogeait les uns les autres, en se dirigeant vers la sortie de la salle. Après confirmation, auprès de la troisième personne, que Weld El 15 a écopé de deux années de prison ferme, une émotion très forte m'a envahie et j'ai commencé à dire de plus en plus fort: ''Comment est-ce possible ?'', ''Dans quel pays vivons-nous?'', ''C'est injuste!''. Et d'autres personnes se sont jointes à moi pour exprimer leur indignation.»
La tension est vite montée, explique-t-elle, «les policiers, qui étaient présents dans la salle en très grand nombre parce que le procès les intéressait, ont commencé à nous (les amis du rappeur et les membres de sa famille, ndlr) agresser et à nous pousser vers l'extérieur de la salle. Et c'est là que je n'ai pas hésité à leur crier: ''Maintenant, je comprends le sens de la chanson incriminée, Chien de policier''».
Hind Meddeb a décrit le processus qui a inspiré ''Chien de policier'': cette chanson très violente «est venue en réponse à une première condamnation suite à une autre chanson, ''Waqef el dharreb'' (Arrêtez de frapper!), en janvier 2012, qui a valu à Weld El 15 une peine d'emprisonnement de 9 mois. Ce qui est intéressant, c'est que ''Waqef el dharreb'' était une chanson non-violente qui s'adressait aux policiers et l'Etat, leur demandant ''d'arrêter de nous tabasser pour rien''. Cette chanson appelait à la paix. Mais, comme elle était politique et très écoutée, elle a valu à Weld El 15 sa première condamnation à 9 mois de prison ferme, de février à octobre 2012. Et c'est là qu'il a écrit ''Chien de policier''. C'est donc le système qui l'a rendu violent».
A quand la réforme de la police?
La journaliste franco-tunisienne a également rappelé qu'entre février et juin 2012 neuf rappeurs ont été arrêtés, en Tunisie, et s'est plainte que pareil sort triste soit réservé à des chanteurs qui, selon elle, ont été «une des voix de la Révolution»: «Aujourd'hui, on est entrain d'essayer de faire taire ces voix. Ce qui s'est passé, en réalité, c'est que le régime de Ben Ali est tombé, symboliquement, le 14 janvier 2011, lorsque le dictateur a fui le pays, mais il n'y a pas eu de réforme des institutions. Certes, il y a eu des élections, le 23 octobre 2011, mais le gouvernement et l'Assemblée constituante n'ont pas fait leur travail de réforme des institutions. Ainsi, nous nous retrouvons toujours avec la même police, la même justice et, surtout, avec les mêmes hommes de Ben Ali et de son parti, le Rcd, qui occupent des postes importants».
En conclusion, Hind Meddeb tape du poing sur la table, exige «de mettre en prison les hommes de l'ancien régime, ces personnes qui ont tué et torturé – et non pas un jeune rappeur qui exprime son mécontentement et demande qu'il y ait changement dans son pays» et elle déclare fermement que l'affaire de Weld El 15 ne s'arrêtera pas là, puisqu'une pétition de soutien circule déjà sur Internet et la mobilisation ne fait que commencer...
Voici, donc, un autre dossier sur les bras de la justice tunisienne, celle-là même qui s'est montrée indulgente à l'égard des casseurs salafistes (les «enfants» de Rached Ghannouchi) qui, le 14 septembre 2012, avaient saccagé l'ambassade et l'école américaines. En somme, une autre bourde à ajouter au long passif nahdhoui. Un autre boulet que le gouvernement d'Ali Lârayedh traînera... jusqu'aux prochaines élections.
Pour rappel, le procès de Hind Meddeb a été fixé pour le 7 octobre prochain. Elle comparaîtra, ce jour-là, en compagnie de deux autres rappeurs, Mister Mustapha et Aymen.
Entretemps, nous pouvons parier que notre consœur franco-tunisienne saura mobiliser les défenseurs de la liberté de la création et maintenir la pression sur «la réaction» (faute d'un autre mot).