bila moujamala
“Bila Moujamala’’ sur Hannibal TV ne cesse de dénoncer les tares de la scène culturelle tunisienne. Noble mission s’il en est, sauf que ses chroniqueurs tombent dans les travers qu’ils dénoncent. Par Aymen Gharbi


Une émission hebdomadaire de 2 heures, diffusée tous les dimanches soir, à une heure de grande écoute, où des journalistes prennent la peine de parler de la culture, est un projet défendable.
A travers sa liberté de ton polémique, qui implique toujours l’emportement déraisonnable, l’équipe de l’émission, composée d’un présentateur et de quatre chroniqueurs, aime jeter des pavés dans les eaux troubles de notre culture. Elle y réussit parfois avec une verve critique pleinement assumée. L’ambition affichée étant d’accuser avec véhémence certaines pratiques commerciales d’artistes, de pseudo artistes et de décideurs bureaucrates faisant la pluie et le beau temps en matière d’art.

L’audace et après?
L’«audacieux» Lotfi Lamari, par exemple, a eu le temps, au fil des émissions, d’explorer en profondeur la question des subventions données par l’Etat pour la production des films. Ce grand sujet problématique et inextricable, qui met en évidence le lien entre l’art et l’argent du contribuable, a souvent été décortiqué avec une grande virulence, montrant par là au grand public que parler sérieusement de culture, dans les médias tunisiens, n’est pas obligatoirement soporifique.
walid zaraaOn pourrait résumer le point de vue de Lotfi Lamari ainsi : les créateurs et producteurs, sans aboutir à aucune solution pour secourir un cinéma tunisien qui se noie, se contentent d’utiliser l’argent du peuple pour faire des films que ce dernier ne voit jamais parce qu’il n’y a plus de salles et que la télé n’en veut pas, elle non plus. Situation pour le moins surréaliste, voire grotesque. Car, les rares fois où ces films sont vus par les Tunisiens, leurs auteurs finissent par être rageusement lynchés à causes de telle ou telle scène où l’on voit des corps nus?
Cependant, parfois, et sans le savoir, les chroniqueurs de ‘‘Bila Moujamala’’, qui jouent aux défenseurs intègres de la culture, tombent ouvertement dans la complaisance qu’ils prétendent combattre. Le point commun qu’ils ont avec les échotiers les plus médiocres de certaines de nos feuilles de choux est qu’ils affichent un respect révérencieux envers leur chef. En l’occurrence Larbi Nasra, grand humaniste désintéressé, selon leurs dires, grand défenseur de la veuve et de l’orphelin, qui ne commet jamais de fautes de goût et n’a pour seul objectif que d’éclairer les Tunisiens sur les réalités du pays.

Merci patron !
La gestion de l’affaire du plagiat du concept de l’émission “Al Mousamah Karim’’ nous a fourni une preuve de la subordination inconditionnelle et moyennement aplatie de ces chers chroniqueurs à leur… employeur du moment. Toute l’équipe, y compris l’irrévérencieux Lotfi Lamari, n’a cessé de défendre becs et ongles le patron de la chaîne et l’émission en question, sans même nommer la personne qui en revendique la paternité, preuves à l’appui, ni évoquer – ne fut-ce que pour les réfuter – les arguments qu’il avance.
Il n’est point question ici de savoir s’il y a eu plagiat ou non, la question ne nous intéresse guère, puisque le concept de l’émission existe depuis au moins une vingtaine d’années dans les chaînes occidentales, mais plutôt de signaler le fait que nos chroniqueurs n’ont mis aucun bémol en parlant d’une émission qui en devient comique à force d’utiliser les grosses ficelles surannées de la télé réalité.
D’autre part, à force de s’auto glorifier, à propos de sa soi-disant liberté de ton, l’équipe a fini par faire de l’auto-complaisante. Ce qui est pour le moins ridicule.
Il faut dire que cette ligne éditoriale fait partie de la stratégie de la chaîne qui consiste à chercher à séduire le téléspectateur avec des épanchements romantiques qu’on pourrait résumer ainsi: «Tout le monde est contre nous pour la simple raison que nous sommes des journalistes intègres et audacieux qui parlent sans flatter personne.» Et partant de ce constat, elle n’hésite pas à fustiger, parfois d’une façon fort indélicate, tous les «méchants» – jamais nommés, cela va sans dire – qui veulent faire taire la voix de la vérité.

Un peu d’autocritique s’il vous plait!
Alors, si l’on se permettait un conseil aux membres de l’équipe de “Bila Moujamala’’, qui n’hésitent pas, eux, à en donner aux autres avec une crasse suffisance, nous leur suggérerions, au nom de l’honnêteté dont ils semblent faire  un principe immuable, de commencer par injecter un peu d’autocritique dans leurs papotages.
Cela leur permettra au moins d’éviter les jugements catégoriques, le manque d’humour face aux attaques dont leur chaîne fait l’objet – ce qui est normal –, cette posture grande gueule qu’ils prennent lorsqu’ils parlent des autres mais béatement admiratifs dès qu’il s’agit de parler de la chaîne pour laquelle ils bossent.
Si, à tous ces griefs, on ajoute la présence lourdement redondante de Héla Dhaouadi, avec ses remarques souvent téléphonées, et toujours superficielles,  on peut conclure, sans risque de se tromper, que l’équipe de ‘‘Bila Moujamala’’ ne s’élève pas beaucoup finalement au-dessus de l’eau trouble de notre culture qu’elle s’est donné pour noble mission de clarifier et d’assainir.
Un peu d’humilité, s’il vous plait, et trêve de poses et de masques : «votre» culture ne s’en portera que beaucoup mieux!