Naoufel Ouertani est sans doute un bon journaliste. Son humour et son sens de la répartie font parfois mouche. Mais il a tendance parfois à sacrifier aux facilités du genre pour maintenir l'audience. Et c'est dommage...
Par Moncef Dhambri
Notre confrère Naoufel Ouertani, animateur sur Mosaïque FM et Ettounsia TV, est un produit du 14 janvier 2011. Ses dons et talents de présentateur de l'émission radiophonique ''Midi Show'' et la verve et le franc-parler dont il fait montre dans ses talk shows de ''Labès'' et ''Klem Ennas'' lui appartiennent indéniablement. Par contre, le contexte et l'environnement qui ont créé les conditions favorables au plein épanouissement de ses qualités appartiennent à la Révolution. Cette dernière, qui s'est essoufflée sur plusieurs chapitres, a tout de même enregistré un franc succès sur le registre de la liberté d'expression.
La pente savonneuse du vedettariat
C'est bien cet acquis qui a permis à Naoufel Ouertani de devenir une vedette de la radio et de la télévision. C'est également cette réussite de la Révolution qui devrait lui imposer une certaine prudence et nous dicter, à nous observateurs de la scène politico-médiatique, une vigilance de tous les instants.
Nous apprécions beaucoup le travail de Naoufel Ouertani et nous lui reconnaissons son sens aigu de la répartie et son professionnalisme. Cependant, nous pouvons reprocher à notre confrère une certaine désinvolture, une certaine manière de traiter l'information et son assurance excessive qui le poussent parfois à prendre pour argent comptant la sympathie et le soutien de ses auditeurs et téléspectateurs.
La pente du vedettariat est savonneuse et une popularité médiatique même amplement méritée peut se perdre.
A trop vouloir «importer» certains formats et à suivre les formules magiques des David Letterman, Jay Leno, Laurent Ruquier, Thierry Ardisson et que sais-je encore, notre ami Naoufel Ouertani s'est parfois laissé tenter par la facilité. A plus d'une reprise ces derniers temps, notre Naoufel national a dérapé et n'a plus contrôlé son savoir-faire journalistique.
L'effet facile de Sonia Ben Toumia
Feu Mohamed Brahmi avait subi, lui aussi, avant sa mort, le "bizutage" de Naoufel Ouertani dans son émission "Labès".
Il y a trois semaines, sur ''Klem Ennas'', il a impitoyablement épinglé la constituante Sonia Ben Toumia, une proie facile de notre faune politique postrévolutionnaire: il s'est amusé à faire dire à la députée nahdhaouie tout ce qu'il a voulu, il l'a ridiculisée et carrément malmenée, au point d'en faire une victime.
En effet, ce soir-là, chaque fois que son émission semblait perdre son souffle, il la relançait en redonnant la parole à Mme Ben Toumia. Les inepties de la constituante nahdhaouie sont aujourd'hui de notoriété publique et l'absurdité de ses déclarations n'est plus à démontrer. Seulement, faire de cette femme politique le punching-ball d'un poids lourd médiatique comme Naoufel Ouertani est sans nul doute contreproductif.
Un journaliste comme Naoufel Ouertani devrait savoir que la facilité à laquelle il a parfois recours peut user ses blagues et rendre ses vannes insipides.
Bien sûr, pourrait-il nous répondre, si l'on n'aime pas ses plaisanteries et si l'on n'apprécie pas son sarcasme, nous avons toujours la liberté de zapper et d'aller voir ailleurs. Nous pouvons, alors, lui répondre que la suspension d'Ettounsia nous avait attristés et que nous avions soutenu la chaîne de télévision comme nous le pouvions.
Sonia Ben Toumia a "Klem Ennas": un moment de grande solitude. Et de l'audience facile pour Naoufel Ouertani.
Larmes, sanglots et nez-qui-coule
Nous l'avions soutenue dans son bras-de-fer avec Slim Riahi, nous nous étions apitoyés sur son sort de «sans-domicile-fixe» lorsqu'elle était obligée de diffuser sur la fréquence d'El Hiwar Ettounsi et nous avions poussé un gros soupir de soulagement lorsqu'elle a repris sa transmission normale. Bref, nous avions soutenu, chacun d'entre nous à sa manière, Ettounsia (d'ailleurs, sans se poser beaucoup de questions) et nous continuerons de le faire, pour des raisons nombreuses et bien évidentes...
Mais il ne pourra jamais s'agir d'un chèque en blanc qui autoriserait certaines maladresses. Le capital sympathie et la popularité dont bénéficie Naoufel Ouertani auprès de son public ne devrait pas lui permettre certains écarts langagiers comme, par exemple, de traiter une de ses invités, une jeune chanteuse syrienne, de «loukza» (gourde, antipathique), ou la forte dose de sensationnalisme qu'il a investie, lors de la même soirée de samedi dernier, à décrire le cas désespéré d'une mère pauvre et à s'attarder lourdement sur le sort pitoyable de son mari chômeur et de ses 10 enfants – y compris sa fille aînée, aide ménagère morte dans des conditions non-élucidées.
Evidemment, lorsqu'on se laisse aller à ce type de jeu, tout est permis: larmes, sanglots, nez-qui-coule et autres détails que les gros plans de la réalisation de ''Labès'' multiplieront par cent, par mille, et que Naoufel Ouertani ne finira pas d'amplifier en posant les mêmes questions à plusieurs reprises.
Non, Ettounsia et Naoufel Ouertani ne méritent pas cette recherche obsessionnelle du plus petit dénominateur commun. Le public des téléspectateurs tunisiens devrait avoir droit à une meilleure nourriture intellectuelle, culturelle et politique.