D'instinct meurtrier, la télévision tunisienne est capable d'«assassiner» sous nos yeux un journaliste talentueux (Moez Ben Gharbia), pour mettre à sa place un autre (pas nécessairement moins talentueux, Hamza Belloumi) et tourner la page.
Par Moncef Dhambri
Vendredi soir, Hamza Belloumi, l'oiseau migrateur du paysage télévisuel tunisien, a officiellement «succédé» à Moez Ben Gharbia sur Ettounsia TV, et son émission ''8e jour'' a remplacé ''9 heures du soir'' du «complice de Lotfi Abdelli».
Le rouleau compresseur médiatique en a voulu ainsi. Rien de nouveau sous le soleil télévisuel tunisien: un présentateur-animateur chasse un autre pour servir, sous un habillage à peine différent, le même plat... Le téléspectateur n'y verra que du feu: s'il lui faut une dose politique quotidienne, il n'aura que l'embarras du choix et nos chaines de télévision rivaliseront encore, et encore plus, pour satisfaire ses besoins.
Un penchant très prononcé pour le combat de coqs
Nos télévisions n'auront aucun mal à s'acquitter de cette tâche: la liberté d'expression est désormais une denrée abondante en Tunisie, la controverse se ramasse à la pelle dans notre pays et, dans peu de temps, la campagne électorale battra son plein.
L'émission politique, où 4 ou 5 invités polémiquent sur 2 ou 3 sujets brûlants du jour ou de la semaine, a un bel avenir devant elle. Il suffira, pour nos chaines de télévision, de mobiliser quelques modestes ressources (2 ou 3 caméras, un studio et un animateur) pour attirer des millions de téléspectateurs et les garder scotchés à leurs écrans pendant plus d'une heure...
Cette formule facile a du succès et elle continuera de drainer les foules de téléspectateurs pendant quelque temps encore, pour au moins de nombreuses raisons.
Le Tunisien moyen a un penchant très prononcé pour le combat de coqs (pour la béliomachie, devrais-je dire) et, après plus d'un demi siècle de dictature, le débat politique a enfin droit de cité dans notre pays. Ce Tunisien bagarreur aurait, donc, trouvé un épanouissement dans ces joutes politiques que lui offrent à longueur de journée nos médias, sous toutes les formes possibles et imaginables.
Vendredi soir, les fans de Moez Ben Gharbia ont donc assisté à «l'enterrement» définitif de leur idole. L'ennemi juré de Slim Riahi refera peut-être surface. Pour l'instant, Hamza Belloumi, un papillon du paysage télévisuel qui butine de chaîne en chaîne, a pris place officiellement sur Ettounsia, aux commandes de cette précieuse tranche horaire de fin de semaine. Et les férus de la polémique politique consommeront ce qu'on leur servira comme mets.
Nous n'analyserons pas, cette fois-ci, ce qui a été dit par les invités lors de cette première du ''8e jour''. Nous nous attarderons, plutôt, sur le format que notre confrère Hamza Belloumi a choisi pour son émission, pour faire le triste constat que les programmes se suivent et se ressemblent et que, pour la folle machine médiatique qui est la nôtre depuis le 14 janvier 2011, nul n'est indispensable, la morale professionnelle ou autre importe peu et que le bricolage suffit pour faire carrière à la télévision et dans les autres médias, également.
On prend les mêmes et on recommence
Qu'est-ce que Hamza Belloumi a fait pour remplacer le ''9 heures du soir'' de Moez Ben Gharbia? Il a tout simplement repris les mêmes ingrédients pour nous servir ce qu'il convient d'appeler, désormais, le repas politique quotidien du Tunisien moyen. Il a invité deux figures politiques très médiatiques: le filou Samir Dillou, l'islamiste «pas-comme-les-autres-nahdhaouis», beau parleur et percutant; Samir Ettaïeb, l'opposant qui possède toutes les qualités et talents pour crever l'écran. Il a également fait appel à deux analystes qui ont depuis longtemps fait leurs preuves: notre confrère Zied El-Heni, le «Monsieur Scoop» qui détient toutes les vérités que l'on aimerait connaître; et le colonel en retraite Mokhtar Ben Nasr, l'homme qui sait tout sur la sécurité dans notre pays.
Déjà avec les ingrédients que nous venons de mentionner, Hamza Belloumi était plus qu'assuré de réussir sa recette.
L'animateur-migrateur a fait bien plus que cela: il n'a pas oublié la cerise sur son gâteau du ''8e jour'' en invitant à cette soirée du vendredi la personnalité médiatique très controversée que tout le monde s'arracherait, Samir El-Wafi, pour que ce dernier croise le fer avec la présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), la «flingueuse» Néjiba Hamrouni.
Voilà, le tour est joué. La pilule est avalée et Moez Ben Gharbia est oublié.
C'est cela la magie de notre télévision tunisienne. Elle compte beaucoup sur la petite culture politique et médiatique du grand public et sur son amnésie. Pour elle, le professionnalisme importe peu.
D'instinct meurtrier, aussi, elle est capable, sans aucun remord, d'«assassiner» sous nos yeux un journaliste talentueux (Moez Ben Gharbia), pour mettre à sa place un autre (pas nécessairement moins talentueux, Hamza Belloumi) et tourner la page.