L'affaire d'un vrai-faux scoop provoque une scène de ménage médiatique, offrant au public une image pitoyable du journalisme tunisien post-révolution, capable du meilleur comme du pire : l'apologie du terrorisme.
Par Moncef Dhambri
Le triste feuilleton d'un banal fait divers impliquant un jeune Kairouanais, Aymen Ben Ahmed Mtawaâ, alias Abou Qosaï, n'a pas fini de dérouler sous nos yeux ses épisodes désolants. Dernier rebondissement surfait de cette affaire: un échange croustillant de noms d'oiseaux entre Naoufel Ouertani, l'animateur national vedette (de ''Labes'' et de ''Klem Enness'' sur Ettounsia TV et de ''Midi Show'' sur Mosaïque FM), et Rached Khaïri, rédacteur-en-chef du site pro-Ennahdha ''Assada''.
Qui pouvait avoir besoin qu'un non-évènement devienne une sensation forte? Pourquoi le cas malheureux d'un «jeune paumé» se transforme-t-il, dans notre pays, en matière à enquêtes journalistiques et policières ou en gros titres de nos médias?
Quel autre prix devra encore payer notre liberté d'expression chèrement acquise pour que nous, journalistes, devenions véritables professionnels?
Quel autre choc psychologique devront subir les consommateurs de l'information pour qu'ils apprennent à zapper au moindre soupçon de sensationnalisme?
Jihadiste ou mythomane?
Au tout début de ce scandale médiatique, il y avait, dans la soirée de samedi dernier, l'émission ''Labes'' qui a offert son plateau à un jeune, originaire de Kairouan, pour qu'il nous raconte pendant de très longues minutes, dans un style très décousu et maladroit, son périple jihadiste. Notre confrère Naoufel Ouertani a tout fait pour tourner et retourner le cas social de ce jeune homme et pour jouer les prolongations d'une histoire qui n'aurait peut-être pas dû figurer au menu de son émission.
Le journaliste n'a-t-il pas dû faire son enquête et essayer de débusquer les mensonges éventuels du prétendu jihadiste avant de la passer en direct à la télévision.
Dès le lendemain, l'affaire d'Abou Qosaï est relayée par le site ''Assada'' qui présente une toute autre version de cette «prétendue aventure jihadiste» du jeune Kairouanais: ce serait l'histoire d'un mythomane qui, parce qu'il s'ennuyait à en mourir, a décidé d'imaginer pour lui-même et pour les autres un scénario captivant où il s'est donné le beau rôle... Le jour même, Naoufel Ouertani est interrogé par la brigade anti-terroriste de la Garde nationale de Laouina qui souhaitait en savoir plus sur le réseau jihadiste et les jeunes Tunisiens (et Tunisiennes) happés par le tourbillon syrien.
Lundi, la scène a été libérée et Aymen Mtawaâ a été écarté pour que la place soit faite à la confrontation, et à l'échange d'insultes, entre Naoufel Ouertani et Rached Khaïri. Il s'agissait d'un spectacle médiatique des plus affligeants: deux confrères, dont le souci premier demeure, indéniablement, la recherche du scoop, se rejettent l'affreuse accusation de manque de professionnalisme. La série, s'arrêtera-t-elle là ou devrions-nous nous attendre à ce que d'autres protagonistes fassent leur entrée?
L'on pourrait, assez facilement, imaginer que le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (Haica) y mettent eux aussi leur grain de sel. Et que la petite histoire de ce jeune «révolté sans cause», qui n'a pas trouvé une plus saine occupation, aille s'amplifiant jusqu'à ce qu'elle échappe à tout contrôle.
De petites histoires sensationnelles
Ne cherchons pas à savoir qui a raison ou qui a tort dans cette affaire. La brigade anti-terroriste de la Garde nationale se chargera de déterminer les responsabilités et de nous dire qui, de nos deux confrères, Naoufel Ouertani ou Rached Khaïri, a fait erreur.
Nous préférons, plutôt, nous interroger sur cette tentation démesurée à laquelle succombent nombre de nos médias et de nos confrères, même les plus professionnels d'entre eux. Il semble s'agir aussi d'une envie insatiable du grand public pour ce type de petites histoires sensationnelles. Nous sommes, également, en présence d'un mal de vivre, d'un profond désenchantement et d'une perte quasi-totale d'espoir en notre 14 janvier. Chacun, bien évidemment, exprime cette désillusion à sa manière... et ce sont toujours les cas extrêmes de cette faillite qui retiennent le plus l'attention de certains médias et d'une certaine opinion publique: les Amina Sbouï et les Abou-quelque-chose sont les pires spécimens sur lesquels on préfère parfois s'attarder. Jusqu'à en oublier l'essentiel.
Qu'Abou Qosaï soit ou ne soit pas un véritable jihadiste importe peu. La chose principale, il nous semble, est qu'aujourd'hui la Tunisie se trouve avec une énorme question terroriste sur les bras. En deux ou trois années de gouvernement des Troïka 1 et 2, le pays a découvert que les jihadistes et les wahhabites «étaient nos enfants» et qu'ils «s'adonnaient à une activité sportive saine au Mont Chaâmbi», jusqu'à en arriver aux assassinats de Chokri Belaïd, de Mohamed Brahmi, de nos soldats et nos agents de la Garde nationale.
C'est de cette responsabilité qu'il s'agit. Qui est-ce qui a imposé au pays cette question d'identité arabo-musulmane en un débat national? Qui est-ce qui a fait fortune électorale sur ce thème? Qui est-ce qui a divisé les Tunisiens et continue de le faire?
Qui est-ce qui s'est retiré sur la pointe des pieds du gouvernement pour préparer soigneusement les prochaines élections législatives et présidentielle, alors que Mehdi Jomaâ et son équipe de brillants technocrates frappent aux portes des pays frères et amis pour savoir s'ils sont toujours animés par quelque générosité envers notre révolution?
Mon anti-nahdhaouisme «primaire» me dicte de nommer les coupables: en vrac, ce sont Rached Ghannouchi, Ennahdha, son Conseil de la Choura, ses stratèges islamistes malveillants, ses illuminés idéologues, ses complots, ses mensonges et ses hypocrisies... qui ont gâché notre 14 janvier, ont fait fuir visiteurs et investisseurs étrangers, ont ruiné la Tunisie et poussé notre jeunesse à toutes les formes de désespoir et de déviance.
Tous ces tricheurs ne l'emporteront pas au paradis!