Cette affaire a trop traîné et il est temps que la justice dise son dernier mot dans le strict respect de la loi et de l'éthique, loin de tout esprit de revanche.
Par Ridha Kéfi
L'affaire des 5 anciens Pdg de l'Etablissement de la télévision tunisienne (ETT) sera réexaminée, lundi 5 mai 2015, par la 3e chambre criminelle du tribunal de 1ère instance de Tunis.
Ce marathon judiciaire a été déclenché par les plaintes déposées, au lendemain de la révolution de janvier 2011, par le Syndicat de la Télévision nationale, contre la société Cactus Prod, accusée de dépassements ayant causé des pertes financières énormes à l'établissement public.
Sept anciens responsables sont poursuivis dans cette affaire : 5 anciens Pdg de l'ETT (Moncef Gouja, Brahim Fridhi, Mustapha Khammari, Hedi Ben Nasr et Mohamed Fehri Chelbi), l'ancien ministre Abdelwaheb Abdallah et le producteur de télévision et ex-patron de Cactus Prod, Sami Fehri.
Tous ces prévenus, qui sont toujours interdits de voyage, ont passé des séjours plus ou moins longs en prison, avant de bénéficier de la liberté conditionnelle. C'est donc en état de liberté qu'ils comparaîtront demain.
Des accusations non encore étayées
Le problème avec cette affaire c'est qu'elle revêt, qu'on veuille l'admettre ou non, un caractère éminemment politique. Car comment expliquer que la plupart des gros pontes de l'ancien régime aient été presque tous libérés, les affaires pour corruption intentées à leur encontre ayant fait pschitt faute de preuves, alors que l'on s'entête à poursuivre 5 anciens Pdg sur la base d'accusations qu'on n'a pas pu encore étayer. C'est, en tout cas, ce que disent les 5 prévenus et leurs avocats.
MM Gouja, Fridhi, Khammari, Ben Nasr et Fehri Chelbi sont accusés d'avoir offert, entre 2003 et 2011, des privilèges exorbitants à la société Cactus Prod, alors dirigée par le producteur de télévision Sami Fehri et dont Belhassen Trabelsi, le gendre de l'ex-président Ben Ali, était l'un des principaux actionnaires. Ces privilèges auraient, selon l'accusation, été accordés de manière illégale et auraient causé de graves préjudices à la télévision nationale.
Le problème, c'est que tout cela doit être étayé par des preuves. Or, à l'examen des faits, on découvre que les facilités accordées à Cactus Prod sont écrites noir sur blanc dans des contrats en bonne et due forme liant les deux parties.
La société de production a certes gagné énormément d'argent (des centaines de millions de dinars en l'espace de quelques années), grâce aux recettes publicitaires générées par ses émissions diffusées par la chaîne publique.
Mais elle en a fait aussi gagner énormément à la Télévision nationale, grâce à ces mêmes émissions, qui ont dopé l'audience de la chaîne Tunis 7, devenue aujourd'hui Watania 1.
Sami Fehri a, sans doute, utilisé sa proximité avec Belhassen Trabelsi et le Palais de Carthage pour faire acheter ses émissions par la télévision nationale – un autre producteur aurait eu, peut-être, plus de mal à le faire –, mais on ne peut pas dire que celle-ci a perdu au change. Elle a, au contraire, augmenté ses recettes de publicité et son audience et, ce faisant, elle s'est réconciliée avec les téléspectateurs qui la boudaient au profit des chaînes étrangères.
On peut reprocher beaucoup de choses à Sami Fehri, notamment d'être un grand opportuniste – mais qui ne l'était pas dans ce secteur où les entrées politiques pèsent parfois autant sinon plus que le savoir-faire? –, mais on doit lui reconnaitre au moins un certain talent: avec deux ou trois émissions à succès, il a révolutionné le paysage audiovisuel tunisien.
Il n'est peut-être pas un créateur de génie, mais c'est un «copieur» hors-pair: ses productions, qui sont inspirées d'émissions à succès passées dans des télévisions étrangères, sont souvent très appréciées par les téléspectateurs tunisiens.
On peut comprendre que les bras cassés de la télévision nationale en veuillent à Sami Fehri – son talent met à nu leur incompétence crasse –, ce n'est malheureusement pas lui qui est en train de provoquer, aujourd'hui, la faillite de cet établissement!
Responsables mais pas coupables
En ce qui concerne les 5 ex-Pdg de la Télévision nationale, les accusations dont ils font l'objet nous semblent pour le moins excessives. Car, en tant que hauts cadres de la fonction publique, dont la mission était purement exécutive – leur marge de décision, on le sait, était trop limitée, comme souvent sous les dictatures –, ils devaient exécuter des contrats passés entre l'établissement dont ils avaient la charge et la société Cactus Prod.
Ces contrats étaient peut-être plus favorables à Cactus Prod qu'à l'ETT, mais qui, se trouvant dans la même situation, aurait eu la témérité de refuser d'appliquer un contrat... imposé par la présidence de la république et visé par le Premier ministère?
A moins de prouver que MM Gouja, Fridhi, Khammari, Ben Nasr et Fehri Chelbi aient pu tirer un quelconque profit personnel (un virement, un chèque, un cadeau...) de l'exécution des contrats avec Cactus Prod, l'accusation de corruption dont ils font l'objet nous semble saugrenue. Ils étaient, certes, responsables des écarts qui auraient pu être commis – à l'insu de leur plein gré –, mais étaient-ils, pour autant, coupables? Qu'on nous permette d'en douter...
Les juges, qui ont fait appel à des experts pour examiner tous les aspects du dossier (juridiques, financiers, etc.), ne manqueront, on en est persuadé, de résister aux pressions politiques liées à ce dossier et de rendre justice dans le strict respect de la loi et de l'éthique, et loin de tout esprit de revanche.
Illustration: De gauche à droite et de haut en bas: Sami Fehri, Abdelwaheb Abdallah, Mohamed Fehri Chelbi, Moncef Gouja et Mustapha Khammari.
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