Ghazi et Nabil Karoui dérangent. Cela n’est pas nouveau. Et c’est presque un pléonasme. Leur manière de jeter, à intervalles réguliers, des pavés dans la mare ne les rend pas particulièrement sympathiques aux yeux de tous ceux que les vagues ainsi provoquées dérangent.
Faut-il blâmer les frères Karoui ? Ou convient-il, plutôt, de les remercier de vouloir faire bouger les lignes dans un secteur, l’information et la communication, où les changements, dans nos pays maghrébins, zone cible de leur chaîne privée Nessma TV, se font (beaucoup) plus lentement que dans tous les autres secteurs, même les plus stratégiques ?
Des créatifs géniaux
Je ne connais pas personnellement les Karoui. Je ne sais pas si je dois regretter que les circonstances ne nous aient pas encore réunis. J’avoue cependant les tenir pour des agitateurs inspirés. Quoiqu’en disent leurs détracteurs, et malgré les sottises que l’on puisse leur reprocher, à tort ou à raison – seuls ceux qui ne font rien ne risquent pas de se tromper –, ce binôme s’impose par son esprit d’initiative, la bougeotte qui le caractérise et son refus de ronronner en rond, comme font du reste la plupart des opérateurs du secteur audiovisuel dans nos pays maghrébins.
Bien sûr, tous ceux qu’effraie le mouvement et qui préfèrent tirer sur tout ce qui bouge – par simple précaution, n’étant jamais assez prévoyant ! –, n’ont aucune raison d’apprécier ces deux compères, grands empêcheurs de tourner en rond. Ils en ont même de bonnes de les détester de tout leur cœur. Et même de vouloir les faire plier, les «casser» et, espèrent-ils, mettre fin à leurs capacités de «nuisance», réelle ou présumée.
Ghazi et Nabil Karoui n’ont besoin de personne pour les défendre. Ils se défendent bien tous seuls. Passés maîtres dans l’art de contourner les obstacles et d’éviter les croche-pieds, au prix de quelques acrobaties de haute voltige dont ils ont seuls le secret, ils ont su gagner la sympathie de deux grands opérateurs du secteur audiovisuel qui sont aujourd’hui les principaux actionnaires de leur entreprise : Tarek Ben Ammar, patron de Quinta Communication, et Silvio Berlusconi, Il Cavaliere soi-même, patron de Mediasat.
Des mesures improductives
A côté de la confiance mise en eux par ces deux loups de l’industrie audiovisuelle mondiale, les manœuvres visant à les «casser» (‘‘Nessma indésirable en Algérie’’ ), paraissent pathétiquement futiles. En tout cas improductives et impopulaires, tant Nessma TV semble plébiscitée par une partie des téléspectateurs maghrébins, notamment en Algérie.
Que gagne-t-on, en effet, vouloir briser l’élan d’une chaîne de télévision privée qui s’est donnée pour mission de servir le grand dessein maghrébin et de reconstruire ce que les responsables politiques de la région ont détruit par leurs interminables chicanes et divisions ? Quel autre dessein grandiose cherche-t-on à servir en essayant de détruire un média audiovisuel qui, malgré ses erreurs de jeunesse et ses tâtonnements – Dieu sait qu’il en a commis, des bêtises ! –, est en train de souffler un air frais dans le paysage, si morne et si désespérément figé, du Maghreb arabe dans son ensemble ?
Les autorités algériennes reprochent à Nessma TV d’opérer illégalement dans le pays. Il y aurait aussi des affaires en justice contre son directeur Nabil Karoui pour non respect des droits d’auteurs, exploitation de numéros de téléphone d’Algérie Télécom, utilisés dans différents concours et jeux de la chaîne. On reproche même à ce dernier d’avoir noué des relations d’affaires avec Orascom Telecom Algérie (et son patron Naguib Sawiris) en plein différend algéro-égyptien! Il semble aussi que les propos de Tarek Ben Ammar, actionnaire de la chaîne, lors de la Conférence permanente de l’audiovisuel méditerranéen (Copeam), le 8 avril dernier, à Paris, sur la «fermeture» du paysage audiovisuel algérien n’ont pas arrangé les choses. C’est un euphémisme…
Cependant, et à supposer que les responsables de Nessma TV ont outrepassé les lois en vigueur en Algérie, les autorités de ce pays sont en droit de les rappeler à l’ordre et d’exiger qu’ils se conforment aux règles. Mais peut-être pas au point de les sommer de fermer les bureaux de leur chaîne en Algérie sous 15 jours, opération dont on imagine les conséquences, et d’abord pour les employés algériens de Nessma TV. Une négociation à l’amiable (ou un bienveillant arbitrage) aurait évité aux deux parties d’en arriver à cette décision extrême qui sanctionne les téléspectateurs maghrébins, les Algériens en premier lieu.
Ridha Kéfi
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