Suite à une décision de justice, tous les sites pornographiques devront être bloqués en Tunisie par l’Agence tunisienne d’Internet (Ati). Faut-il s’en émouvoir? Faut-il condamner? Par Ridha Kéfi
La décision judiciaire fait suite à une plainte déposée il y a une semaine par trois avocats, qui affirment que ces sites présentent un danger pour les plus jeunes et sont contraires aux valeurs musulmanes.
Malaise dans le web tunisien
Le juge, ainsi soumis au chantage à la moralité publique, aurait eu du mal, il est vrai, à rendre une décision différente, au risque de se voir accusé d’encourager la dépravation des mœurs. Les trois avocats, dont on imagine bien l’obédience politique, ont donc frappé un grand coup en faisant ordonner le blocage de tous les sites pornographiques, filtrés sous le régime Ben Ali, mais librement accessibles depuis janvier.
Les partis politiques n’ont pas encore réagi à cette décision. On a entendu peu de réactions de la part des activistes, des intellectuels et des artistes. On imagine la gêne des uns et des autres. Car il est difficile, à propos d’un tel sujet que d’aucuns lient à la moralité publique, de tenir le bâton par le milieu. Une position mitigée risque, en effet, de mécontenter tout le monde.
Le problème de cette interdiction, c’est qu’elle intervient à une phase post-révolutionnaire marquée par une faiblesse notoire du pouvoir provisoire, une grave crise de confiance et une atmosphère de suspicion généralisée.
La plainte qui a provoqué la décision judiciaire étant facilement attribuable à une tendance politique, le mouvement islamiste en l’occurrence, dont beaucoup craignent l’accession au pouvoir dans le pays, on mesure la portée politique que risque de prendre une telle décision. Le fait qu’elle intervient après la censure par la même Ati, début mai, de plusieurs sites Internet d’extrême-gauche, qui plus est sur ordre d’un tribunal militaire, n’arrange guère les choses. Pis encore: la nouvelle interdiction alimente la crainte d’un retour de la censure systématique qui était en vigueur sous le régime de Ben Ali.
La crainte d’un retour de la censure
La démission, au début de cette semaine, du secrétaire d’Etat à la Jeunesse du gouvernement provisoire, Slim Amamou, cyberactiviste et blogueur, a ajouté à la confusion, le co-fondateur du Parti pirate tunisien ayant déjà évoqué ses craintes face au retour de la censure sur le web.
Quoi qu’il en soit, et par-delà la nature des sites interdits, c’est ce recours aux tribunaux pour ordonner des actes d’interdiction et de censure qui doit interpeller l’opinion publique. Cette instrumentalisation d’une justice qui a du mal à recouvrer son indépendance et, surtout, sa crédibilité nous rappelle les pratiques d’un passé pas très ancien: l’identité des censeurs a changé, mais le système reste le même et ses effets pourraient être à l’avenir dévastateurs, si l’on ne réagit pas à temps pour y mettre fin. Cela commence avec l’interdiction des sites pornos, mais rien n’indique que la vague de fond va s’arrêter là. Donc vigilance…