Selon Riadh Ferjani, les journalistes de la première chaîne de télévision nationale manquent cruellement de professionnalisme. Quatre mois après la révolution, les signes du changement tardent à venir.
Dans une interview au magazine spécialisé ‘‘Télérama’’, ce chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Institut de presse et des sciences de l’information (Ipsi), montre la difficulté qu’éprouvent les journalistes à se défaire des réflexes du passé et à faire leur travail selon les règles élémentaires du métier. A l’appui de sa démonstration, il décortique des séquences du télé-journal de 20 heures sur la Première chaine nationale (Ttn1). Sa conclusion ne souffre aucune indulgence: la chaîne d’Etat a du mal à devenir une chaîne publique. Extraits…
Le JT sous Ben Ali
«“Dans le cadre de sa politique de bienveillance…” En Tunisie, cette formule ouvrait invariablement le journal télévisé sous la présidence de Ben Ali. Tous les sujets qu’ils soient d’ordre politique, économique ou sociaux, étaient traités à travers le prisme déformant de l’activité du gouvernement. A l’époque, tout portait la marque du Président – ou de sa femme Leïla Trabelsi dans les derniers temps – et ce jusqu’au ridicule. Images d’hélico sur les grandes réalisations du régime (complexes touristiques, échangeurs d’autoroutes), visites du président mises en scène (même lorsqu’il en était absent!), la propagande avait sa propre esthétique de communication. Sa façon de parler de la réalité, tout en étant en opposition totale avec elle…
«Sous Ben Ali, le journal de TV7 était le seul rendez-vous télévisé des Tunisiens avec l’information, les chaines privées n’ayant pas de JT. Il était officiellement crédité d’une audience de 18%. Des sources officieuses parlent plutôt de 1 à 2%, tant il était discrédité auprès de la population. On le regardait plus pour se tenir au courant de la comédie du pouvoir, la météo même était sujette à caution!»
Le “journalisme de communiqué”
«Pendant des années, la télévision a été vidée de ses compétences. Pour être promu, il fallait d’abord détenir la carte du Rcd (le parti de l’ex-Président), et surtout aller très loin dans le discours élogieux. Aujourd’hui, le non-professionnalisme est toujours à l’œuvre au JT de la Ttn1 (ex TV7). On y donne des informations douteuses, sans aucune analyse, perspective ou recul. On retrouve toujours les travers de ce “journalisme de communiqué” qui caractérisent la diffusion de l’information sous un régime totalitaire. Le plus inquiétant, en particulier dans la perspective des prochaines élections, c’est de voir que le gouvernement ne donne pas de signes forts de désengagement, de promotion de la diversité.
«Aujourd’hui le discours a changé, mais les mécanismes de la propagande demeurent. C’est toujours le récit qui prime sur l’information. On privilégie le traitement unilatéral, le point de vue unique, et on retrouve une voix officielle au détriment d’un compte rendu objectif et pluriel. En cela le JT est en rupture avec les attentes des Tunisiens dans leur diversité.
«La parole alternative pose encore problème. Si les plateaux télévisés s’ouvrent peu à peu aux anciens opposants, la manière de passer en plan large ou de 3/4, d’incruster des éléments textuels à l’écran, de faire défiler des news bars au moment où le propos se fait trop dérangeant trahi ce malaise. On donne la parole mais la façon de la donner n’est pas anodine. Le discours dissident, auquel on opposait hier l’argument de la non-objectivité, peut être tué par la façon de le filmer.
Le retour du discours d’invective
«Les Tunisiens ont toujours eu accès à une information alternative, même parcellaire et venant de l’étranger, surtout depuis l’apparition des chaînes par satellite, et d’Internet. Les Tunisiens ont fini par apprendre à identifier la propagande, jusqu’à en être immunisés. Mais en temps de crise, ses mécanismes se mettent de nouveau à nu: le vocabulaire utilisé par le speaker, les termes “terroristes”, “hordes antipatriotes” et le discours d’invective, reviennent, sans surprise. Il est grand temps que la chaîne d’Etat devienne une chaîne publique».