Bien qu’ils aient l’Islam en partage, Arabes et Turcs ont toujours eu du mal à établir des relations sincères et apaisées, à cause d’un lourd contentieux historique. Mais ils ont aujourd’hui de bonnes raisons de se réconcilier : les premiers adorent les séries télévisées des seconds.
Les Arabes ne pardonnent pas aux Turcs de les avoir dominés des siècles durant, parfois par le feu et le sang, lorsque l’empire ottoman s’étendait, au sud, de l’Atlantique aux confins du Sahara et du Golfe arabo-persique.

Ils ont aussi du mal à digérer la décision de Kemal Atatürk d’abandonner les caractères arabes dans la transcription de la langue turque au profit de la typographie latine.
Les Turcs, pour leur part, n’ont pas fini de reprocher aux Arabes, leurs frères en Islam, de les avoir boutés hors de la région en s’alliant à deux puissances chrétiennes : la Grande Bretagne et la France. Aujourd’hui, grâce au rapprochement esquissé par Ankara en direction du monde arabe, les démêlés du Premier ministre turc Recep Erdogan avec l’Etat d’Israël et, surtout, le succès des séries télévisées turques auprès des téléspectateurs de la région, ce passé est en passe d’être oublié. La Turquie semble même présenter aujourd’hui, aux yeux de ses voisins du sud, un modèle d’organisation sociétale, économique et politique digne d’intérêt.   
Mais qu’est-ce qui, dans les séries télévisées turques, attire les téléspectateurs – et, surtout, les téléspectatrices – arabes ? La beauté vaporeuse et éthérée des actrices (et acteurs) est certes pour beaucoup dans cet engouement. Mais pas seulement. Car ces séries, qui n’en finissent pas de faire pleurer ces dames, de Casablanca à Damas, en passant par Alger, Tunis et Amman, tranchent aussi par leur contenu quelque peu audacieux.
En montrant une société musulmane ouverte, différente et où la consommation de l’alcool par les femmes, l’infidélité conjugale et les grossesses hors mariage ne constituent pas des crimes passibles de flagellations publiques, ces séries offrent des Musulmans (et surtout des Musulmanes) une image à la fois réaliste et idéalisée, en tout cas moins aseptisée et hypocrite que celle qu’en offrent souvent les séries égyptiennes et autres. Leur succès grandissant tient peut-être aussi au fait que les téléspectateurs (et les téléspectatrices), qui les suivent sur leurs chaînes doublées en dialecte syro-libanais, aiment s’identifier dans les personnages qu’elles présentent : des hommes et des femmes, souvent beaux mais de toutes conditions, tour à tour heureux et désespérés, romantiques et calculateurs, allant d’élan de tendresse en petites perfidies, en quête d’un bonheur douloureux, inaccessible, et toujours reporté, comme dans la vie de tous les jours en somme.
Après ‘‘Noor’’, ‘‘El Houlm Al Dayaâ (Rêve perdu), ‘‘Wa Tamdhi Al Ayam’’ (Passent les jours) et ‘‘Wa Yabqa Al Houb’’ (Ne demeure que l’amour), qui ont eu un immense succès d’audience en Tunisie et dans tout le monde arabe au cours des deux dernières années, c’est au tour de ‘‘Mirna Wa Khalil’’, avec la star Kivanç Tatlitug, qui conquit définitivement le cœur des téléspectatrices en campant le personnage de Mohanad dans la série ‘‘Noor’’, ‘‘Lahdhat Wadaâ’’ (Instant d’adieu), et ‘‘Doumoû Al Ward’’ (Larmes des roses) de meubler les programmes de début de soirée des principales chaînes de télévision arabes de la région, à commencer par les nôtres, c’est-à-dire, respectivement, NessmaTV, HannibalTV et Tunis7. Les maris qui n’aiment pas les mélodrames larmoyants peuvent aller se coucher…

 

Haythem K.