Accueillant les journalistes dans les studios de «sa» chaine, qui connait une extension de 350 m², Nabil Karoui, copropriétaire de Nessma TV, s’est montré pimpant, agressif et presque dédaigneux.
Par Aya Chedi


Rassuré et revigoré par les résultats des sondages, qui mettent «sa» chaine et «ses» émissions en  tête des études d’audience, le directeur de Nessma TV a gratifié les journalistes d’un one man show. «En l’espace d’une année, et entre le Ramadhan de l’année dernière, où l’on pleurnichait à cause de cette question des taux d’audience, et cette année où nous sommes classés premiers, il y a une différence», dit-il. Il faut dire aussi qu’entre-temps, «le père de tous les Tunisiens» a pris la fuite.

‘‘Nsibti Laaziza’’ en haut de l’affiche
Alors maintenant, place à l’institut de sondage 3CEtudes. «Un nouveau cabinet d’étude et de sondage en Tunisie qui tire son expérience de sa couverture des élections présidentielles françaises de 2007, réalisée par ses équipes tunisiennes», dit Nabil Karoui. Qui lance au passage quelques piques à deux autres cabinets, Sigma Conseil et Mediascan, dont «le travail n’est pas scientifique et qui même quand ils ‘‘me’’ placent en première position, j’ai toujours du mal à croire à la crédibilité de leur travail. Ils représentent un danger et la Tunisie ne mérite pas cela», dit Karoui. Un danger «de fraudes et de manipulations douteuses», phénomènes qui vont cesser, selon le propriétaire de Nessma TV «par l’arrivée imminente de nouveaux instituts disposant de nouvelles technologies».

Aidée par un contenu télévisuel très en-deçà des aspirations des Tunisiens, Nessma TV est donc la chaine la plus regardée en Tunisie, durant les 8 premiers jours du Ramadhan. Même les internautes admettent cela. Ils veulent même et surtout la rediffusion de la série ‘‘Nsibti laâziza’’. «Nous aspirions à filmer 45 épisodes de ce sitcom pour entamer sa diffusion avant le mois saint, question de fidéliser les téléspectateurs. Mais faute de temps, de logistique et de conditions propices, nous ne sommes arrivés qu’à filmer 15 épisodes», explique M. Karoui. Bis repetita alors avec ‘‘El Fahem’’ et consort. Et qu’on ne se trompe pas, il s’agit des mêmes épisodes diffusés durant la première quinzaine de Ramadhan.

«Personne ne dit non à Nessma»
On pensait trop à une autre émission «proche de la téléréalité, qui consiste à vivre les moments de la rupture du jeûne avec des hommes politiques, dans leurs foyers et entre leurs familles», explique aussi M. Karoui. Mais cette émission de 35 minutes ne passera pas en prime-time et sera décalée un peu plus tard dans la soirée. Quelques épisodes ont déjà été enregistrés. «Beaucoup de politiques ont refusé, pour une raison ou une autre, de prendre part à cette émission», dit Nabil Karoui.


Nabil Karoui fait son show

On pourra connaitre «le côté humain» des politiques à travers cette émission, où l’on pourrait voir de plus près des figures comme Lazhar Akremi, ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur chargé des réformes, Emna Menif, porte parole du parti Afek Tounès, Ezzeddine Hazgui, Bochra Bel Hadj Hmida, avec lesquels des épisodes de cette émission ont été enregistrées. Interrogé sur les noms de certains politiques qui auraient refusé cette offre, Nabil Karoui se contredit et affirme que «personne ne dit non à Nessma. Personne ne nous contredit, réellement. Malgré ce qu’ils disent dans les forums et sur Internet, lorsqu’on les appelle, ils viennent».

Ceci est peut-être le préambule d’une programmation de l’après-Ramadhan qui sera étoffée par des émissions, programmes et débats politiques, comme nous en informe le directeur de Nessma TV. «Nous allons garder notre image de chaîne généraliste, mais on aura une forte vocation politique. C’est un moment historique, et durant 6 semaines, on se penchera sur la vie politique».

Le studio mentionné de 350 m² sera consacré aux journaux télévisés, et on s’attend à l’arrivée de nouveaux présentateurs ainsi qu’à des correspondants régionaux.

Nessma TV au-dessus des lois ?
Evoquant une loi qui pourrait être adoptée concernant la réglementation des apparitions d’hommes politiques sur les médias télévisuels, M. Karoui a dit: «Là, je ne sais quelle instance compte interdire l’apparition des politiciens sur les chaînes de télé durant les périodes de campagnes électorales. C’est une loi qui ne s’applique pas à nous. Les chaines tunisiennes seront interdites d’accueillir les hommes politiques, mais Al Jazira, qui a ouvert un bureau à Tunis, pourra accueillir qui elle veut et pourra dans ce cas sceller le sort des élections. Cette loi doit être suspendue. Les membres de cette commission adoptent des lois sans nous consulter.»

«Aujourd’hui, raconte encore, N. Karoui, j’ai reçu une lettre. C’est un cauchemar. Elle est de la part de Kamel Jendoubi, qui nous demande d’arrêter la diffusion des spots promotionnels (Tahya Touness - Vive la Tunisie), car des hommes politiques y apparaissent».

Interrogé par Kapitalis si les chaînes de télévision, qui transgressent la loi et ne respectent pas l’éthique journalistique, ne devraient-elles pas être sanctionnées, M. Karoui a répondu: «Bien sûr, il n’y a aucune loi. Mais, aujourd’hui, tout travail journalistique doit être basé sur l’éthique et la responsabilité». Comprenne qui pourra…

Pour finir, M. Karoui a cru devoir gratifier ladite commission – dont il ne connaît pas le nom – d’un «ce sont des amateurs», car, selon lui, ses membres se basent sur une loi adoptée sous la dictature. Cette même dictature qui lui a octroyé une licence de télévision – alors que beaucoup d’autres hommes de télévision (et non de publicité) ont essuyé des refus –! Une dictature aussi dont M. Karoui a loué, plus d’une fois, les qualités dans des émissions sur Nessma TV. Des vidéos de ces émissions circulent d’ailleurs sur le web. Et ce n’est pas Kamel Jendoubi, exilé en France pendant deux décennies, qui, à notre connaissance, a dit un jour, pour exprimer sa gratitude envers l’homme du 7-Novembre: «Notre père Ben Ali»! Les lecteurs devineront aisément le nom du flagorneur… devenu soudain un grand révolutionnaire!

Conclusion: le mauvais prétexte de l’«inexistence» de lois en cette période va laisser le champ libre à tout un chacun pour faire comme il lui chante. Et si on va compter sur «l’éthique et la responsabilité» des uns et sur le «professionnalisme» des autres dans le secteur télévisuel en Tunisie, bonjour les dégâts!

Entre-temps, on se contentera du niveau intellectuel d’‘‘El Fahem’’ qui, lui, a tout compris. Ne sera-t-il pas, pour une quinzaine de plus, la starlette de Nessma TV?!