Même si elle se classe au 5e rang arabe par le nombre d’utilisateurs de Facebook rapporté à la population (20%), la Tunisie est le pays arabe qui a le mieux utilisé les réseaux sociaux pour provoquer la révolution.
Ces l’une des conclusions d’un article intitulé ‘‘La confiance dans la société numérique méditerranéenne: Vers un espace .med’’, synthèse du rapport d’un groupe de travail auquel a pris part la Tunisienne Yamina Mathlouthi, chercheur associé à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (Irmc, Tunisie), économiste à l’Agence française de développement (Afd), à Tunis. Une synthèse de cette étude a été publiée dans le dernier numéro de la revue de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), présidé par le Tunisien Radhi Meddeb, ‘‘Palimpsestes’’ (N°7, juillet 2011).
Les chiffres qui parlent
Les auteurs du rapport font remarquer que la Tunisie et l’Égypte font partie des pays sud-méditerranéens où le poids du secteur des Tic est parmi les plus élevés de la région. Le pourcentage des communications dans le Pib, qui ne dépasse guère 2% du Pib des pays développés (seulement 1,8% pour la France), est bien plus important dans les pays du Sud où il a atteint 5,5% en Tunisie et 3,1% au Maroc, en 2008. «Les pays qui luttent encore contre la destitution de leurs pouvoirs (la Syrie, le Yémen, la Libye) sont des pays où le secteur des Tic est inférieur à 5%», font aussi remarquer les auteurs de l’étude de l’Ipemed, sans pour autant établir un lien de causalité entre Tic et révolution.
Selon l’étude de l’Ipemed, il y avait, en 2005, quelques 30.000 blogs dans l’ensemble des pays arabes. Ce sera, une année plus tard, le nombre des blogueurs dans le seul Maroc. En 2008, ce pays a atteindra le chiffre de 500.000 blogueurs. Fin 2010, Facebook a plus de 20 millions d’utilisateurs dans le monde arabe.
Dans le classement par pays, la Tunisie arrive, par le nombre d’utilisateurs de Facebook, à la cinquième place dans le monde arabe après l’Égypte (1er), l’Arabie saoudite (2e), le Maroc (3e) et les Émirats arabes unis (4e) , mais devant l’Algérie, (6e), la Jordanie (7e) et le Liban (8e).
En nombre de Facebookers rapporté au nombre total de la population, la Tunisie (20%) se classée aussi à la 5e place, derrière le Qatar (1er, 59,7 %), les Émirats arabes unis (2e, 42 %), Bahreïn (3e, 36,9 %) et le Liban (4e, 23,4%). Elle devance cependant l’Égypte (6e, 16,5%), le Maroc (7e, 7,6%), l’Algérie (8e, 4,6%), la Libye (9e, 4,5%), le Yémen (10e, 1%) et la Syrie, où ce réseau social était interdit jusqu’au 8 février 2011. A titre indicatif, ce chiffre s’établit à 47% aux États-Unis et 32,4% en France.
On pourrait souligner également ici, et toujours sans établir un lien de causalité, que les pays qui luttent encore contre la destitution de leurs pouvoirs (la Syrie, le Yémen, la Libye) sont ceux-là même où le nombre d’affiliés au réseau Facebook est le plus faible: 4,5% en Libye, 1% au Yémen et moins de 1% en Syrie.
Le paradoxe des Tic et de la révolution
«Les révoltes en Égypte et en Tunisie montrent que les Tic passent du rôle de vitrine de développement à un outil de mutation politique», notent les auteurs du rapport de l’Ipemed. Ils ajoutent: «Malgré des tentatives importantes, notamment en Tunisie, pour contrôler ces accès ou restreindre la diffusion des informations, la massification de ces médias fut trop intense pour en permettre le contrôle. Les écosystèmes numériques, dotés de multiples composantes (Internet et ses applications, la téléphonie mobile, les chaînes satellitaires), ont fondé ainsi une nouvelle forme de confiance dans l’information qu’ils véhiculaient : une jeunesse jugée fréquemment désintéressée de la chose publique, taxée souvent d’être désinformée, dans une démarche spontanée et pacifique, a fait tomber en quelques semaines deux régimes totalitaires, croyant d’ailleurs contrôler ces écosystèmes.»
Les auteurs soulignent également un paradoxe lié au développement des Tic dans la région. «Si en Tunisie et en Égypte, le renversement des régimes a été si rapide, c’est en partie au moins, du fait de ces moyens de communication et des médias accessibles à un grand nombre», notent les auteurs. Ils expliquent: «Si cette diffusion s’est développée, c’est parce que les gouvernements renversés ont mis en place des politiques publiques de diffusion de ces technologies et parce qu’il y avait localement de compétences disponibles pour permettre le contournement de l’endiguement de ces médias par les pouvoirs en place. En ce sens, on pourrait dire que les pouvoirs ont favorisé leur propre perte!»
Malek Naïli