Le propagandiste de l’ancien régime, porte-voix de Ben Ali et de son clan, est enfin sorti de son silence. S’il s’est expliqué sur ses errements passés, il n’a pas balancé autant qu’on l’aurait souhaité.


L’homme a perdu dix kilos, les traits tirés, et le regard noir, mais il a gardé le verbe haut, hargneux, combattif, toujours sur la défensive. Avant le 14 janvier, il défendait les abus d’un dictateur inculte, capricieux et égoïste, qui s’entêtait à vouloir humilier son peuple. En bon démagogue, maniant à merveille les artifices de la sophistique, il trouvait souvent des mots pour justifier l’injustifiable, jusqu’à l’écœurement. Aujourd’hui, c’est sa propre personne que Borhane Bsaies défend, ses choix douteux, ses aveuglements, ses ambitions politiques démesurées qui l’ont finalement perdu. En bon perdant, il est allé jusqu’à faire de l’autodérision : «Je suis tombé du 7e étage», a-t-il dit, sans sourire, comme pour se faire encore plus mal. L’allusion à «l’homme du 7 Novembre», dont il est aujourd’hui l’absolu orphelin, était, on l’imagine, très douloureuse.

Une si douloureuse solitude

Journaliste, plutôt polémiste, que dis-je, propagandiste de Ben Ali, celui que tous les Tunisiens aiment détester s’est enfin livré, dans l’émission de Samir El Ouafi, ‘‘Essaraha Raha’’ (littéralement : La franchise fait du bien), samedi soir, sur Hannibal TV. Il s’est livré (pour ainsi dire) pudiquement, prudemment, à moitié, c’est-à-dire sans charrier, en en disant, à la fois, trop et pas assez, laissant les Tunisiens sur leur faim.

De cet entretien réalisé il y a un mois, et dont la diffusion avait été programmée puis inexplicablement déprogrammée, avant d’être enfin reprogrammée (avec ou sans coupures ?), les téléspectateurs attendaient à des révélations, à des aveux, à des mises à l’index. Rien de tout cela pour les satisfaire. Borhane Bsaies s’est contenté d’allusions, certes lourdes, et qui désignaient des personnes dont les noms circulent désormais sur le Net, mais il s’est bien gardé de nommer ceux à qui il destine désormais sa hargne dénonciatrice. A savoir ces responsables de médias, ces journalistes ripoux et ces activistes politiques, qui ont émargé, autant que lui sinon plus, sur les largesses de l’ancien régime, qui ont défendu le clan de Ben Ali avec la même conviction et qui, après le 14 janvier, se sont mis, sans crier gare, en deux temps trois mouvements, à surfer sur la vague de… la révolution. Le culot et l’effronterie, on le sait, n’ont pas de limite.

«Le 14 janvier, j’ai regardé autour de moi, je me suis retrouvé seul», a dit Borhane Bsaies, avec une douloureuse ironie. Avant de se demander : «Mais où sont passés tous ces éditorialistes, ces patrons de médias et ces hommes d’affaires qui faisaient le pied de grue devant les bureaux de Belhassen Trabelsi et Sakher El Materi ?»

De cet entretien assez frustrant, on peut cependant tirer quelques conclusions et pistes d’investigation, qui aideraient les Tunisiens à démasquer tous ces imposteurs et ces hypocrites qui étaient au service de l’ancien régime, et les empêcher ainsi de se replacer sur la scène politique et de confisquer la révolution du peuple.

Les «mouchards» de la police politique  

Première piste : l’examen des archives de la tristement célèbre police politique, dont on avait annoncé (faussement) la dissolution.

En Allemagne, la divulgation des archives de la Stasi, au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la fin du régime dictatorial d’Eric Honecker, a permis de démanteler le réseaux des informateurs de la police parmi les élites politiques, médiatiques, culturelles et autres. Ce qui a permis d’assainir le système politique en Allemagne de l’Est et de faciliter ainsi sa transition démocratique et son intégration dans l’Allemagne unie.

En Tunisie, ces archives restent malheureusement muettes et jalousement gardées par le ministère de l’Intérieur. Pis encore : les informateurs d’hier continuent de sévir aujourd’hui. Beaucoup se sont même vus accorder des autorisations pour créer des partis, des associations, des journaux... On parle même de mouchards devenus hauts responsables au gouvernement.

Autre piste à explorer : la rediffusion des écrits et des éditoriaux commis par les journalistes ripoux avant le 14 janvier, afin de rafraîchir les mémoires trop oublieuses de tous ceux qui, à l’instar de Borhane Bsaies, ont servi avec zèle l’ancien régime et qui cherchent aujourd’hui à se refaire une virginité à bas prix, au mépris des victimes de l’ancien régime.

Ces propagandistes ne se démasquent pas seulement par leurs propres écrits, imprimés noir sur blanc. Ils se dénoncent aussi par les cadeaux dont les a gratifiés le dictateur : les terrains constructibles à Gammarth et Aïn Zaghouan ou encore les fermes agricoles dans plusieurs régions du pays.

Borhane Bsaies en sait sans doute beaucoup plus qu’il n’en a dit samedi sur Hannibal TV. On aurait aimé l’entendre, par exemple, sur le système de propagande mis en place par l’Agence tunisienne de communication extérieure (Atce), dont il fut longtemps l’un des acteurs, à travers l’émission hebdomadaire qu’il produisait pour la chaîne libanaise Ann.

Il faut dire que l’animateur de l’émission, mauvais journaliste posant des questions au ras des paquerettes, n’a pas été à la hauteur de son invité. Dommage, surtout que ce dernier a affirmé qu’il ne se reproduirait plus dans les médias et ne ferait plus de politique. Peut-être, pour se faire pardonner, nous rendra-t-il l’immense service de rédiger ses mémoires et, cette fois, de balancer tous les ripoux…

Imed Bahri