Notre correspondant à Genève, Haykel Ezzeddine, a été assigné en justice pour diffamation, calomnie et insoumission à une décision du tribunal suisse.
Par Mourad Teyeb
Comme quoi, ça ne se passe pas uniquement dans le Tiers-monde ! La Suisse, pays des libertés, vient de sanctionner un journaliste pour ce qu’il a publié.
Son délit : avoir publié, début août, sur son blog Planete Photos, une affiche électorale du Mouvement Citoyens Genevois (Mcg), qui accusait le président d'un groupe d’assurance-maladie de participer à une «arnaque d’Etat».
Le holà des assureurs
Haykel retire l’encart de son blog, mais se voit quand-même poursuivi. «J’ai reçu un recommandé de l’avocat du Groupe Mutuel me demandant d’enlever l’affiche, ce que j’ai fait», raconte Haykel. Il avait ensuite publié à nouveau l’affiche, mais caviardée comme l’exigeait la justice. «Ceci n’est pas suffisant pour me mêler à cette affaire», s’indigne-t-il. «Je ne comprends pas les accusations portées contre moi. Je suis un bouc-émissaire dans cette affaire !», dit encore Haykel, qui n’en revient toujours pas.
L’affaire de l’affiche du Mcg a connu la semaine dernière un nouveau rebondissement avec le verdict du Tribunal de première instance suite à une plainte déposée par le groupe Mutuel et son président Pierre-Marcel Revaz.
Le Tribunal interdit au Mcg, ainsi qu’à Haykel Ezzeddine de publier, de diffuser, d’afficher, de communiquer toute affiche ou support ayant un contenu similaire à l’affiche officielle du Mcr-Mcg pour la campagne aux élections fédérales du 23 octobre, en ce sens qu’elle contiendrait à la fois des termes identiques ou synonymes de ceux utilisés dans les affiches litigieuses.
Haykel, bloggeur à la ‘‘Tribune de Genève’’, est donc condamné au même titre que le Mcg et 6 de ses membres. Voilà de quoi ruminer sur le droit d’information, ses limites et ses conséquences.
Une atteinte à la liberté d’expression
«Je suis persuadé de n'avoir rien fait de mal, estime-t-il. Je n’ai rien à voir avec le Mcg, mon seul but est de rendre compte de ce qui se passe à Genève. Cette histoire est une atteinte à la liberté d’informer ! Porter plainte contre moi est en quelque sorte un avertissement donné aux médias : voilà ce qui vous arrivera si vous parliez des assurances», un lobby très puissant en Suisse.
Haykel Ezzeddine, blogueur et journaliste
«Le seul tort qu’on peut me reprocher, reconnaît-il, c’est la publication d’une affiche sujette à une plainte et que je n’ai pas caviardée parce qu’elle n’était pas encore interdite au moment de sa publication, ce qui implique que je n’ai enfreint aucun règlement. Je n’ai fait que mon rôle d’informer sans donner mon avis», dit Haykel.
La frustration du blogueur et journaliste vis-à-vis du mutisme des médias suisses envers sa cause est peut-être plus grande que le procès lui-même. «Il n’y pas eu de réaction de la part de l’Association des journalistes, regrette-t-il, et ‘‘La Tribune de Genève’’ m’a soutenu du bout des lèvres, même si, malgré la pression exercée sur elle, elle n’est pas intervenue pour m’interdire d’exercer mon rôle de blogueur sur sa plateforme».
Par contre, Haykel dit avoir eu «un véritable soutien» sur Facebook et de la part de ses amis à Genève. «D’ailleurs, mon avocat sera payé par un parti politique d'extrême gauche», nous dit-il.
«Depuis le déclenchement de l’affaire dans la presse genevoise, je croule sous les gestes d’attention, des sms, des coups de téléphones, des commentaires sur mon blog et de nombreux messages sur Facebook. Je n’arrête pas d’être ému du matin au soir. De quoi supporter cette double action en justice. Je remercie tout particulièrement les blogueurs Djemâ Chraiti et Lala qui m’ont consacré une note et le grand Pascal Décaillet pour qui je constitue cette semaine le coup de cœur de Ghi.
«Le parti Mcg est coutumier de la provocation. Il en fait même son cheval de bataille», pense Haykel, dont le blog, âgé bientôt de trois ans, est très populaire en Suisse.