Les débats politiques s’emparent des télés et des radios. La presse écrite est inondée par les articles d’opinion et la pub politique. Les citoyens s’y perdent un peu.

Par Thameur Mekki


«Il n’y a que des partis. Soit ils se chamaillent, soit ils font des promesses. Je ne comprends rien de ce qui se passe. Que va-t-il se passer après les élections de l’Assemblée Constituante ? On n’en sait rien», me dit un chauffeur de taxi consterné en fermant son autoradio. «Pourquoi achètes-tu un journal ? Avant, ça ne parlait que de Ben Ali. Maintenant, il y a les partis qui le remplacent. Nous, les citoyens, restons hors-jeu», lance un vendeur dans un kiosque à tabac à un client. «Ils veulent qu’on vote. Alors qu’on ne sait même pas à quoi ça servirait vraiment. Pour moi, l’avant-Révolution ou l’après-Révolution, c’est pareil», susurre une dame à sa voisine en essuyant les vitres avec un journal.

Délabrement de la conscience politique

Il suffit d’aborder quelques personnes dans la rue sur le sujet ou même tendre son oreille à une discussion entre deux passagers au métro ou à la table voisine dans la terrasse d’un café pour faire le constat : il y a un flagrant manque d’information sur le contenu de la réforme constitutionnelle. D’ailleurs, la culture citoyenne est loin d’être acquise par une grande partie de la population tunisienne. Et les médias sont parmi les responsables du délabrement de la conscience politique de leur audience. Ce constat est appuyé par les révélations du deuxième rapport du Monitoring Média durant la Transition Démocratique en Tunisie, réalisé par un collectif d’organisations non-gouvernementales sur la période 1er au 25 septembre.

Le manque de professionnalisme médiatique, l’absence d’un débat de fond sur le contenu de la réforme constitutionnelle, le défaut de transmission de la culture citoyenne et l’absence de medias d’investigation et de proximité sont parmi les plus importantes tendances générales enregistrées par les observateurs.

«Vu notre travail sur le terrain en tant qu’association, nous avons, depuis des années, constaté le manque de culture citoyenne dans notre société. Les citoyens ne savent pas ce que c’est que la Convention de Copenhague ou encore moins la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme», déclare Sana Ben Achour, coordinatrice générale de l’opération du monitoring média. «Les médias n’accomplissent pas leur rôle d’éducation civile. Vous le voyez bien à travers ce rapport», ajoute-t-elle.

Catastrophisme permanent de l’opinion


Sana Ben Achour au milieu

Les débats entre les partis politiques dominent l’espace médiatique. Les statistiques sont claires. Sur les chaînes de télévision tunisiennes, les débats représentent 67,63% du temps d’antenne dont 43,39 portant sur des sujets politiques. Les entretiens représentent 24,22% de cet espace. Quant aux informations, elles n’ont qu’un pourcentage faible mesuré à 17,38%.

Sur les ondes des radios, les débats représentent 40,89% des plages de programmation à forte audience. Les questions constitutionnelles et électorales n’en occupent que 22,31% alors l’information n’a qu’une infime part de 15,04%.

Côté presse écrite, nos canards ne font pas du journalisme d’investigation. Pas la trace d’articles de proximité. 57,51% de l’espace est envahi par des articles d’opinion. Et c’est la manne à la publicité politique représentant 23,07% des principaux journaux tunisiens observés entre le 1er et le 25 septembre.

«Le manque d’information est l’une des causes du catastrophisme permanent de l’opinion publique dans notre pays», analyse le chercheur universitaire Hichem Abdessamad, en prélude de la présentation du rapport aux journalistes. De quoi avoir la conviction que l’équilibre social ne s’établira qu’avec des médias moins pyromanes, des médias capables d’attirer de l’audience sans être une arène ouverte entre les partis politiques au détriment de l’intérêt des citoyens.

Lire aussi :

Tunisie. Les médias «achetés» par les partis politiques