Avec les jeunes journalistes de Tunisia Live, l’unique plateforme offrant une couverture de l’actualité tunisienne en anglais pour une audience internationale.
Par John Thorne
Il était 9 heures du matin dans les locaux de Tunisia Live, un jeune site d’actualité tunisien, et Rabii Kalboussi était au milieu (à mi-chemin) de son premier article du jour. Il était assis à une table, avec cinq autres rédacteurs, en train de choisir (copier) des articles d’actualité depuis d’autres médias locaux.
«Mon premier article aujourd’hui… est une conférence sur le processus électoral», il a dit. «J’ai lu l’article, puis je le traduis de l’arabe et je le reformule, prenant en considération le lectorat de Tunisia Live : le monde anglophone».
Kalboussi, 23 ans, et ses collègues étaient jeunes, inexpérimentés et travaillant avec un budget dérisoire. Habités par un enthousiasme énorme, ils représentaient la première génération tunisienne de journalistes post-dictature.
Une idée originale de Zied Mhirsi, 33 ans, un docteur devenu entrepreneur de médias, et ses collègues, Tunisia Live était l’unique plateforme offrant une couverture locale en anglais pour une audience internationale.
Du ‘‘fixing’’ au journalisme proprement dit
«La jeune entreprise avait besoin de financement», a dit Mhirsi. «Pour le moment, une vocation de ‘‘fixing’’ – fournir aux journalistes étrangers une assistance qui inclut la traduction, la logistique, et de la consultation – génére du cash tout en permettant aux rédacteurs d’acquérir de l’expérience aux côtés de journalistes chevronnés».
Ce type d’activités était impensable sous Zine el-Abidine Ben Ali, dont le renversement en janvier a mis fin à des décennies de censure, de tyrannie et de la corruption des médias.
Mhirsi, qui parle l’anglais couramment et qui a passé quatre ans à étudier et travailler à l’université de Washington à Seattle, a balayé un flux énormes d’articles étrangers sur la Tunisie suite à la fuite de Ben Ali le 14 janvier.
Après avoir passé des semaines à aider les journalistes étrangers à faire leur travail, Mhirsi et ses collègues ‘‘fixateurs’’ «ont constaté que les Tunisiens n’écrivaient pas en anglais», a-t-il dit. «J’étais sensible à la communication en anglais parce que j’ai senti que mon pays était isolé».
L’un de ses premières recrues était Sadok Ayari, 26 ans, qui «met en place l’agenda quotidien de l’actualité». Arrivant au bureau chaque matin à 7 heures, il parcourt la presse tunisienne pour choisir les articles à traduire.
«Par exemple, l’article le plus important est sur la formation que suivra la police en droits de l’homme», dit-il. «Durant des années, ils n’avaient même pas ce concept. Maintenant, ils acquièrent une dimension de droits humains. On n’est pas habitués à ça».
Entre temps, Kalboussi finissait son article sur le processus électoral et commençait à collecter des articles sur Hizb Ettahrir, un parti islamiste extrémiste.
Devenir une source d’information
«Prochainement, j’aimerais faire ce que les agences de presse font», dit-il. «D’inviter des gens, d’assister aux conférences et événements – de devenir une source d’information». Mhirsi a dit qu’il attendait lui aussi ce jour.
Les bureaux de Tunisia Live étaient décorés avec des adages emblématiques du journalisme.
A côté du tableau blanc sur lequel Ayari écrit le programme du jour, il y avait une citation de Burton Rascoe, un journaliste américain du 20ème siècle :
«Le sens d’une actualité est vraiment le sens de ce qui est important, ce qui est vital, ce qui a une couleur et une vie – ce à quoi les gens s’intéressent. C’est ça le journalisme».
Cependant, le besoin le plus pressant des jeunes rédacteurs de Tunisia Live est «l’expérience pratique», dit Mhirsi. «Des connaissances en anglais, en rédaction, apprendre à observer et à analyser. Ils ont beaucoup de passion, ils travaillent de longues heures, mais ils ont besoin d’une formation adéquate». On a partiellement remédié à ce besoin en ‘‘fixant’’ pour la presse étrangère.
«J’avais commencé à faire du fixing bien avant de venir ici», dit Asma Ghribi, 24 ans, une étudiante diplômée en études culturelles qui avait travaillé pour Al Jazira English après la révolution.
Depuis qu’elle a rejoint Tunisia Live en avril, elle s’est concentrée davantage sur les reportages vidéo originaux, tout en continuant à fixer pour les médias étrangers qui font partie de la clientèle de Tunisia Live.
«Quant on fait du ‘‘fixing’’, on doit obéir et écouter ce que les journalistes veulent», dit-elle. «Mais pour produire à Tunisia Live, je suis mon propre patron. C’est ce qu’il y a de mieux. Je deviens consciente du privilège que j’ai en tant que journaliste».
«Une belle nuit pour une révolution»
Ghribi était assise à la même table que Ayari et leur collègue Malek Somai, 26 ans, qui travaillait sur le texte trilingue d’une vidéo appelant les téléspectateurs à répondre à des questions pour un show politique.
«Quelque chose d’impératif», a dit Ayari, alors qu’ils répétaient des phrases dans le dialecte arabe de la Tunisie. «Qu’en est-il de ‘‘choisis la question que tu veux poser’’?».
«Non, ça ne donne pas le sens», a dit Ghribi. «Essayons ‘‘choisis la question que tu veux’’».
Enfin, ils se sont mis d’accord sur «Votez pour les questions que vous voulez».
Nostalgique des événements du 14 janvier, Ayari s’est souvenu d’une nuit étoilée – «Une belle nuit pour une révolution», a-t-il dit.
Pour Mhirsi, Tunisia Live est bien placé pour enquêter sur les effets de la révolution tunisienne – dont l’explosion de la liberté d’expression qui a rendu pareilles activités possibles.
Cependant, il reste à voir si le travail dur et la passion peuvent être rentables.
«Nous sautons dans l’inconnu», a dit Mhirsi. «Nous faisons ça tant qu’il peut survivre. Et s’il ne peut pas, ça aura toujours été une belle aventure».
Traduit de l’Anglais par Mourad Teyeb
Source : ‘‘The National’’.