La culture, en Tunisie, s’exprime-t-elle exclusivement en arabe littéraire ou classique? Non, bien sûr, le théâtre, le cinéma, la télévision et autres expressions artistiques se déclinent aussi chez nous en dialectal tunisien et même, parfois, en français. Pourquoi donc la ‘‘Radio Tunisie Culture’’ s’échine-t-elle à ignorer ces deux langues ? Par Aymen Gharbi.



Claude-Levi Strauss définit la culture comme étant «un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion.» Cette définition générale de cet éminent anthropologue français montre que les différentes visions du monde qui composent la culture, c'est-à-dire le langage, la société, l’économie, l’art, la science, la religion, sont hétéroclites mais sont néanmoins des éléments dont la prise en compte est indispensable pour pouvoir étudier ou donner une idée exhaustive sur la culture d’un pays, d’une civilisation donnée.

Barrage entre deux langues
Essayons, à présent, d’examiner le problème du langage dans la culture tunisienne à travers les programmes de la radio publique ‘‘Radio Tunisie Culture’’, qui se prétend justement spécialisée en la matière. Nous trouvons que ce problème y est représenté, malgré le fait qu’il soit lui-même d’une complexité abyssale, d’une façon extrêmement réductrice, qui n’est absolument pas fidèle à notre réalité linguistique et qui va même jusqu’à la fausser dangereusement.
En effet, comme toutes les radios publiques tunisiennes qui ont toujours œuvré, depuis la date de leur création, à faire un barrage entre les deux langues principales de notre pays: l’arabe et le français (le terme barrage, ici, voulant dire qu’on n’utilise jamais les deux langues dans une seule chaine), la radio culturelle, dans sa ligne éditoriale, a jugé bon de ne parler qu’une seule langue, en l’occurrence l’arabe littéraire, en excluant, premièrement la langue tunisienne dialectale et deuxièmement la langue française.
Cette exclusion implique aussi celle des usagers de ces langues, c'est-à-dire les gens à l’esprit desquels le discours culturel ne peut être accessible qu’en français, en tunisien ou dans le mariage entre les deux. Or il est évident qu’une large partie de la scène culturelle tunisienne est francophone. Ceci est une réalité objective car il suffit de jeter un œil sur les journaux et les magazines les plus vendus, de se référer aux programmes scolaires et universitaires, d’écouter le discours de Mosaïque Fm, première audience radio en Tunisie, pour se rendre compte que la langue française est foncièrement ancrée dans notre réalité sociale, économique et culturelle.
Il ne faut donc pas voir dans cette note un quelconque dénigrement de l’arabe mais plutôt une simple interrogation sur la conception totalement éloignée de la réalité que véhicule cette station de la culture de notre pays, qui regroupe, pourtant, selon les statistiques, le pourcentage le plus élevé de francophonie au monde, par rapport à l’ensemble de sa population.

Etre proche des auditeurs
L’argument généralement utilisé pour contrer des accusations d’élitisme est que cette radio tente de rendre la langue arabe plus proche des gens, mais elle le fait en excluant une large partie d’un auditoire potentiel. Cela risque de l’éloigner davantage du grand public et d’accentuer l’incommunicabilité entre francophones et arabophones.
A travers ce manque de réalisme, nous pouvons déduire l’idée superficielle que cette station, pourtant nécessaire, se fait encore de la culture: c’est une notion transcendante et éthérée qui ne peut aucunement être sujette à la modernisation et qui ne doit être communiquée que d’une façon austère. On ne peut concevoir la culture, au sein de cette radio, qu’à travers un discours en arabe littéraire entrecoupé de chansons classiques du patrimoine alors qu’elle peut aussi résider dans la langue argotique, dans un regard comparatif entre le moderne et le classique et dans le cosmopolitisme.
Lorsqu’on se souciera concrètement, et pas simplement avec des mots, du fait que la mission véritable et urgente d’un tel média est de diffuser une vision curieuse, populaire, effervescente et éclectique du monde, en prenant en compte tous les publics sans aucun parti pris sclérosant, des changement radicaux se feront certainement dans sa programmation. Et son audience, aujourd’hui très faible, suivra peut-être… Ce qui justifiera, au moins, son existence.