Sur la Toile tunisienne, la bataille bat son plein : l’OpenGov est en passe de devenir l’une des grandes revendications de la communauté des internautes citoyens et des activistes de la société civile.
Par Welid Naffati
Une grande opération de communication à laquelle participe actuellement les internautes tunisiens sur Facebook, les blogs et Twitter, est menée depuis mardi. Plusieurs profils ont en effet changé leur photo de profil par le slogan ‘‘7ell’’ (prononcé ‘‘hell’’, «ouvre !» en tunisien). C’est le groupe OpenGovTN – formé par des indépendants, des représentants de la société civile et quelques députés de l’Assemblée constituante (Cpr, Ettakatol, Pdm, etc.) – qui est derrière cette initiative.
Cette task force cherche actuellement à faire pression sur la Constituante pour amender l’Open Governance dans le règlement interne de l’hémicycle voire dans la future constitution.
Pour une gouvernance ouverte et transparente
L’Open Governance, ou l’Open Governement (appelé également l’OpenGov) est une politique qui prône l’application d’une gouvernance ouverte et totalement transparente. Dans ce modèle, l’Etat est obligé d’ouvrir à ses citoyens l’accès aux données concernant le gouvernement et les institutions publiques (Open Data).
Pour ce qui est de l’OpenGovTN, 4 demandes ont été formulées :
- la création d’une chaîne parlementaire qui diffuse en direct les séances plénières de l’Assemblée constituante et les travaux des commissions internes ;
- la diffusion des PV et rapports finaux des commissions aux médias et sur le site officiel de la Constituante ;
- la traçabilité du vote des élus et l’établissement, par la même occasion, d’un historique de leur absentéisme ;
- la retranscription des débats et prises de paroles sur Internet (site web de l’assemblée), Facebook et twitter.
«La société civile veut participer à la rédaction des textes de loi et des articles de la constitution. Et c’est en rendant les PV des commissions internes publiques, que des spécialistes, pas forcément représentés dans l’assemblée, peuvent apporter leur pierre à l’édifice», a expliqué Mme. Lobna Jeribi (@lobnajeribi sur twitter), députée Ettakatol dans la Constituante et membre du groupe OpenGovTN, sur la chaine nationale 1 dans l’émission de Elyes El Gharbi, ‘‘Hadith Essaâa’’, mercredi.
«Quelques députés ont peur de l’OpenGov. Je ne vois pas pourquoi», s’exclame-t-elle. «Comme ce concept va inciter les citoyens à participer dans l’édification du pays, l’OpenGov aidera également le politicien à se rapprocher des électeurs. C’est ça la démocratie participative».
Durant son intervention, Mme Jeribi s’étonnera du double discours tenu par quelques députés qui, dans les commissions internes, expriment un avis, mais une fois dans la séance plénière (télévisée et diffusée sur les télés nationales), prennent la position inverse. D’où l’intérêt de rendre les travaux des commissions solennelles et publiques. «Chaque citoyen a le droit de connaître les positions du député, qu’il a élu et qui le représente dans l’assemblée, sur les articles ou les lois votés», fait-elle remarquer.
Ennahda et l’interdiction des téléphones portables
Selon la députée, le manque de transparence et de communication augmente le risque de mauvaise interprétation et donc de désinformation. Ceci pourrait conduire à des campagnes de dénigrement contre un parti ou un député. Ce qui va desservir la réputation, et donc la carrière, du politicien. Surtout pour les prochaines élections.
La demande d’instaurer le caractère solennel des réunions des commissions internes avait suscité, en fin de semaine dernière, un vif débat au sein de l’hémicycle. Proposée par le député Haythem Ben Belgacem (@HaythemBELGACEM sur twitter) du Congrès pour la république (Cpr), beaucoup de ses homologues d’Ennahdha ont opposé un refus à l’idée, au point même de proposer l’interdiction de l’utilisation des téléphones portables par les députés pendant les séances de travail au sein des commissions.
«Il faut savoir que ces commissions font un travail de préparation, pas plus. Or vous avez vu que les débats publics et solennels ont tendance à s’éterniser. De là on doit également insister sur l’interdiction des téléphones portables durant les travaux des commissions car un député pourrait envoyer des rapports aux médias sur des décisions qui ne sont pas encore finalisées», avait expliqué Habib Kheder, député Ennahdha à la Constituante, à propos de ce sujet.
Faire participer la société civile
Un autre député d’Ennahdha a appuyé les arguments de M. Kheder et s’est insurgé contre une telle demande qui concernera des commissions ayant à traiter de dossiers sensibles, comme celui de l’enquête interne et de l’immunité parlementaire : «Je vous demande, vous les défenseurs de la liberté d’information et de la transparence, êtes-vous d’accord que ces commissions lavent le linge sale de nos collègues sur la place publique ?», a-t-il lancé à ses collègues.
«Il y a une insinuation gênante quand on parle de la transparence et de la publication des PV des commissions internes», a-t-il ajouté. «Comme si tous ceux (les membres d’Ennahdha, ndlr) qui appellent à lui donner le caractère confidentiel sont contre le peuple et ne veulent pas rompre avec les pratiques de l’ancien régime. Je prie donc mes collègues de ne plus utiliser les termes ‘‘transparence’’ et ‘‘rompre avec le passé’’ en exigeant la solennité des travaux des commissions».
L’opposition a, quant à elle, appuyé la demande du député du Cpr et s’est montrée compréhensive vis-à-vis de la sensibilité de quelques commissions. Elle a ainsi proposé à ce que les commissions traitant de la sûreté nationale et des données personnelles (commission de l’immunité parlementaire) soient épargnées de cette décision.
L’opposition a également tenu à rappeler le droit de la société civile à intervenir en amont dans la genèse des textes de loi et/ou des articles de la constitution. C’est-à-dire durant le travail de rédaction dans les commissions. Car en aval, une fois que les textes passent sous la couple en séance plénière, il leur sera difficile d’y apporter leur grain de sel. Ce qui sera donc une façon de mettre la société civile devant le fait accompli.