M. Jebali, nous sommes-nous trompés sur vos intentions ? Où voulez-vous mener la Tunisie ? Le coup d’Etat médiatique qui a lieu devant nos yeux est une grave erreur.
Par Jamel Dridi
On aurait pu croire à une plaisanterie… de mauvais goût bien sûr. Il a fallu relire trois fois le laconique communiqué officiel sur les dernières nominations à la tête des médias publics tunisiens pour se rendre compte que ce n’en n’était pas une.
Mais de quoi s’agit-il au fait ?
Les méthodes du passé ressurgissent !
Un samedi ! Dans le dos de tout le monde, sans que l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), composée de journalistes honnêtes qui travaillent depuis un an sur la question de la réforme du secteur de l’information, et sans que le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), ne soient informés, le gouvernement a décidé seul de la nomination de postes clefs dans le secteur de l’information publique.
Une question vient ici immédiatement à l’esprit. Pourquoi ce gouvernement, qui a dit qu’il allait rompre avec les méthodes du passé, qui a déclaré qu’il allait gérer ce dossier sensible de l’information en toute transparence, a-t-il décidé dans l’urgence, sans concertation, d’agir de la sorte ? N’y a-t-il pas d’autres urgences à gérer actuellement en Tunisie et pourquoi cette façon étonnante de faire ? Y a-t-il un agenda secret avec d’autres étapes ultérieures liberticides qui nécessitent, dans l’urgence, la mise en place de la première phase qui est le verrouillage de l’information ?
Pour que l’on comprenne bien la mesure de l’enjeu qui est en question, il s’agit ni plus ni moins de désigner ceux qui vont faire une grande partie de l’opinion publique tunisienne. Car l’opinion de beaucoup de Tunisiens se fait notamment par la voie des médias officiels comme le journal télévisé de la chaîne nationale.
Mais au-delà de la forme, il y a plus grave !
La véracité de l’information dépend de la crédibilité du journaliste.
Car au-delà de la forme, il y a le fond qui est choquant et vraiment révoltant. En effet, qui sont les heureux nominés de ces postes ?
Beaucoup des nominés faisaient partie de l’ancien système. Certains mêmes ont occupé des postes administratifs importants durant le règne de Ben Ali. Bien évidemment, cela est critiquable mais à la rigueur ça peut passer car beaucoup de journalistes ont exercé sous Ben Ali mais ne lui étaient pas favorables (et rares sont ceux qui n’ont pas travaillé sous Ben Ali).
Non le malaise pour ne pas dire l’insulte est ailleurs. Effectivement, parmi les nominés à ces postes clefs de l’information, certains sont allés très loin dans leur soutien à Ben Ali. Hélas pour eux, si les paroles s’envolent, les écrits restent. Et leur écrits sont nauséabonds, scandaleux !
Certains ont en effet rédigé, tenez-vous bien, des «articles déclarations d’amour» adressés à Ben Ali pour qu’il se représente aux élections de 2009 !
Et pour d’autres, ce fut encore pire. Alors que des journalistes se faisaient briser les jambes dans les caves du ministère de l’Intérieur pour avoir dit des vérités sur Ben Ali, d’autres ont offert «la Plume d’or à Ben Ali» pour son respect pour la liberté d’expression !
Incroyable mais vrai ! Comment penser que l’information qui sera transmise sera honnête quand ceux qui vont la transmettre n’ont pas hésité à trahir la déontologie journalistique et à travestir la réalité sous Ben Ali ?
M. Jebali, vous venez de commettre une grave erreur en nommant ces personnes. Peut-être vous a-t-on mal conseillé ? Vous ne pouvez pas tout savoir dans le détail. Peut-être ne vous a-t-on pas tout dit par rapport aux Cv de certaines des personnes ? Peut être avez-vous été victime d’un coup d’Etat médiatique ? Ce qui vient de se passer est tellement «énorme» que c’est incroyable à croire !
Une trahison de la révolution et de ceux qui vous ont fait confiance
Tout juste après le 14 janvier 2011, alors que beaucoup d’entre vous étaient en exil à l’étranger et qu’ils ne s’imaginaient sans doute pas qu’un an plus tard ils auraient le pouvoir entre leur main, beaucoup de journalistes, dont moi, ont défendu le fait que vous deviez, pour le bien de la démocratie et pour qu’une partie du peuple ne soit pas ignorée, participer au jeu politique.
Début février (et les écrits peuvent en témoigner), à contre-courant de tout ce qui s’écrivait et se disait parce que personne, même pas vous-mêmes (et je sais de quoi je parle) ne saviez que vous alliez avoir la place d’aujourd’hui, certains vous ont défendu risquant insultes et critiques…
Nous sommes-nous trompés à ce point ?
Rappelez-vous comment vous avanciez prudent, mi peureux mi surpris de la rapidité des événements. Vous ne devez pas insulter l’avenir et vous croire «arrivé».
Si vous avez incontestablement la légitimité des urnes, vous devez vous méfier des retournements de l’Histoire dus aux mécontentements populaires en raison du retour des mauvaises pratiques. Et ce type de nominations tant dans sa forme que sur le fond est une mauvaise pratique.
Le temps de la connivence entre les médias et le pouvoir est fini. Les Tunisiens sont dégoûtés de cela. Ils ne font plus confiance aux journalistes tunisiens qui les ont trahis tant de fois. Plus aucun journaliste ne peut, s’il veut que son pays avance, taire les zones d’ombres qui entourent le pouvoir.
Il est donc nécessaire de vous dire que par ces nominations vous vous êtes trompé et que vous participez à étendre les zones d’ombres.
Monsieur le Premier ministre, pour être fidèle aux valeurs que vous défendez et pour le bien de la Tunisie, vous devez d’urgence revenir sur ces nominations.
A défaut, vous sèmeriez dans l’esprit de beaucoup de Tunisiens un doute concernant la sincérité de vos objectifs et votre volonté à maintenir la Tunisie dans le chemin qui mène à la démocratie.
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