A la demande des avocats de Nabil Karoui, patron de Nessma TV, le juge de la 6ème Chambre du tribunal de première instance de Tunis a décidé le report du procès au 19 avril prochain. Un suspense haletant…


C’est ce que vient d’annoncer vers 12h45 l’un des avocats de la chaîne privée. Selon lui, l’audience s’est bien déroulée et «l’ambiance entre les confrères des deux parties, plaignants et défenseurs de Nessma TV, était exemplaire et d’un certain niveau. Le fait de reporter l’affaire pourrait être un bon signe car la colère va s’atténuer de part et d’autre avec le temps», a-t-il dit, et d’ajouter que le temps pourrait jouer en faveur de tout le monde et, peut être, aider à classer l’affaire. 10 minutes après, sur le plateau de la même chaîne de télévision – accusée «d’atteinte aux bonnes moeurs, aux valeurs du sacré et de troubles de l'ordre public», suite à la projection le 7 octobre 2011 du film franco-iranien ‘‘Persépolis’’ jugé par la partie plaignante «blasphématoire à l’égard de la foi islamique» –, l’une des journalistes présentes devant le tribunal (et non à l’intérieur de la salle d’audience) a donné une autre version. Selon elle, l’audience n’a duré que 10 minutes à cause de la tension entre les parties plaignantes et les parties de la défense qui se sont échangées des propos, animés.

Une ambiance électrique

Selon d’autres confrères, la décision du report aurait été prise par le ministre de la Justice en personne. Ce qui nous semble très peu probable, sachant la volonté affichée du gouvernement de ne pas interférer dans le travail des magistrats.

A l’arrière du tribunal, au niveau de l’avenue 9 avril, journalistes et photographes ont dénoncé cette interdiction et ce genre de pratique du nouveau gouvernement qui rappelle le régime de Ben Ali.

Devant le tribunal, des centaines d’individus se sont rassemblés et à chaque partie son slogan. Les uns brandissent des drapeaux noirs estampillés de versets coraniques et appellent à la fermeture de la chaîne Nessma TV. Les autres, venus soutenir l’équipe de Nabil Karoui, ont appelé à la liberté d’expression. Parmi les présents, plusieurs avocats dont l’avocate Radhia Nasraoui, et Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre par Intérim, qui vient de remettre sa robe après un bref retour au gouvernement. «Je suis venu pour défendre la liberté d’expression», a-t-il dit alors qu’il quittait le tribunal escorté de certains de ses confrères.

Parmi les autres présents, on a noté la présence de plusieurs membres de la constituante, dont Khamaïes Ksila (Ettakatol), la cinéaste Salma Baccar, Kamel Jendoubi, ex-président de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie), Yadh Ben Achour, ex-président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique (Hiror). Ainsi que plusieurs hommes d’affaires et représentants de partis et de la société civile.

Selon Nessma TV, une avocate française est venue de France pour défendre bénévolement Nabil Karoui. Or, dans la loi tunisienne, il n’est pas permis à des avocats étrangers de défendre une partie tunisienne en Tunisie. Sa présence a donc été purement symbolique.

Des journalistes agressés

Selon la chaîne de télévision, des journalistes, ainsi que des militants de la société civile, ont été agressés par des militants salafistes. Notre confrère Zied Krichen a été parmi les agressés, ainsi que l’universitaire et écrivain Hamasi Redissi, connu pour ses ouvrages consacrés à l’histoire de l’islamisme.

Pour le moment, les journalistes se trouvant en grand nombre sur place n’ont pas filmé ces scènes, mais seulement rapporté de bouche-à-oreille ces escarmouches verbales et physiques entre les uns et les autres.

Ennahdha, parti islamiste aujourd’hui au pouvoir, a publié, lundi, un communiqué pour soutenir la liberté d’expression. Sur les réseaux sociaux, une campagne de soutien a été lancée depuis quelques jours par la chaîne de télévision avec un slogan «Nessma Libre» et elle a drainé un nombre impressionnant de sympathisants et de militants des droits de l’homme et des défenseurs des droits de la liberté de la presse. Le directeur général de Nessma TV a mobilisé son équipe pour couvrir l’événement et inviter sur son plateau des personnalités de la société civile et des journalistes.

Z. A.