La réforme des médias en Tunisie n’aurait aucun sens si on ne démasque pas tous les journalistes corrompus. L’impunité risque de maintenir le statu quo et de faciliter le retour de la dictature.
Par Marouen El Mehdi
Le débat sur la situation actuelle des médias et leurs rapports avec les partis au pouvoir, organisé, samedi, par la Fondation Temimi pour la recherche et l’information, est revenu sur la polémique suscitée ces derniers temps par les partisans et dirigeants d’Ennahdha en particulier, et toutes les voix se sont élevées contre les pratiques intimidantes qui visent à prendre ces médias en otage.
Des propagandistes de Ben Ali recyclés par Jebali
Ce débat a réuni des personnalités connues dans le domaine de l’information, dont Kamel Labidi, le président de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et la communication (Inric) et Naziha Rejiba plus connue sous le pseudonyme Om Zied, journaliste militante sous le régime de Ben Ali et ex-dirigeante du Congrès pour la République (Cpr) ainsi qu’un nombre de journalistes et de spécialistes dans le domaine de l’information.
Faisant une évaluation de l’état des lieux, Abdeljelil Temimi n’a pas mâché ses mots en exprimant sa peur de voir s’installer un conflit avec un pouvoir qui n’épargne aucun effort pour asservir les médias et les mettre sous sa houlette. Pour sa part, Kamel Labidi a déploré l’absence d’une stratégie de communication au sein des partis au pouvoir : «Oui, nous contribuons tous à un devoir national, mais nous voulons nous impliquer davantage dans la production afin de faire progresser les médias dans le bon sens et dans la totale indépendance».
A propos des réformes à mettre en route pour mettre le secteur aux standards internationaux, il a souligné que ceux qui ont exercé dans ce domaine en tant que fonctionnaires pendant des dizaines d’années sont incapables aujourd’hui de réaliser les aspirations des gens du métier qui tiennent à leur indépendance et qui ne peuvent pas composer avec des responsables, de nouveau sollicités, qui n’ont cherché, par le passé, qu’à satisfaire le pouvoir.
M. Labidi fait ici allusion aux journalistes ayant servi avec zèle l’ancien et qui ont été sollicités par l’actuel gouvernement pour prendre la tête de médias publics (‘‘La Presse’’, l’agence Tap, l’Etablissement de la télévision tunisienne, Shems FM). Pourtant, les compétences ne manquent pas et il suffit de citer les collègues qui ont longtemps travaillé pour les médias nationaux et qui sont partis exercer ailleurs et ont refusé de revenir au bercail.
Le gouvernement, qui parle de réforme mais ne conforme pas ses paroles à ses actes, a préféré récupérer des gens qui n’ont plus rien à donner alors que dans ce métier, la flamme et la passion sont plus que nécessaires pour avancer.
M. Labidi a reconnu que le processus de réforme nécessitera du temps, et qu’il va falloir composer avec des experts, capables de démonter le système dictatorial dont usent encore les partis au pouvoir : «Nous avons proposé des noms, mais les collègues concernés ont refusé de venir travailler sous le commandement de ceux qui ont fait leurs preuves dans la servitude des pouvoirs en place», a expliqué le président de l’Inric.
Abdeljelil Temimi et Kamel et Kamel Labidi. Ph. Tap
A propos de la liste noire des journalistes corrompus, il s’avère qu’elle est presque prête à être diffusée même si le principe de sa parution suscite encore des réserves.
La nécessité de dévoiler les corrompus !
Prenant la parole, Om Zied a insisté sur le principe de dévoiler cette liste et exiger, au moins, de ceux qui y figurent, de demander pardon et d’exprimer des regrets devant le peuple : «Je ne peux pas concevoir le fait de voir ceux qui ont fait partie d’un système de corruption et d’oppression se presser aujourd’hui pour figurer parmi ceux qui appellent à la réforme. Pour ces gens là, il n’y a qu’une seule issue, celle de quitter la scène en silence. C’est le minimum qu’on pourrait exiger d’eux».
Une collègue du journal ‘‘La Presse’’ a pris la relève pour dénoncer les nouvelles pratiques qui veulent encore ancrer l’asservissement et auxquelles il va falloir faire attention, notamment au sein de son propre journal où la situation n’incite pas à l’espoir.
D’autres collègues ont mis l’accent sur la nécessité d’activer les 14 recommandations de l’Inric et de mettre en application les décrets lois 115 et 116, promulgués par l’ex-gouvernement et publiés le 2 novembre 2011 sur le Journal officiel de la république tunisienne (Jort), relatifs respectivement au nouveau Code de la presse et à la Haute autorité pour la communication audio-visuelle (Haica), que le corps de métier ne cesse de réclamer.
M. Labidi a tenu à rappeler à la fin de ce débat l’exemple des pays de l’Est où, après l’effondrement des régimes communistes, les anciens responsables de l’information et des médias ont été priés de se retirer sans faire trop de bruit. Cette proposition n’a toutefois pas fait l’unanimité et d’autres intervenants ont appelé à dévoiler tous les confrères corrompus, sans quoi le principe d’impunité risque de maintenir le statu quo et de faciliter le retour de la dictature.