«Les pays démocratiques ne cèdent pas leurs médias audiovisuels publics au capital privé », a indiqué l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric) dans un communiqué publié samedi.
L’Inric «met en garde contre les graves déclarations de presse, de plus en plus insistantes, de certains dirigeants du parti Ennahdha au sujet de la privatisation des médias publics». EN attendant de connaître la position de l’Assemblér nationale constituante (Anc) à ce sujet, ainsi que celles des autres partis politiques et notamment des deux alliés d’Ennahdha dans la coalition gouvernementale (le Congrès pour la République et Ettakatol), nous reproduisons, ici, le texte de ce communiqué.
«Le président de ce parti, Rached Ghannouchi, a déclaré, dans une interview accordée aux quotidiens qatari ‘‘Al-Sharq’’ et omanais ‘‘Oman’’, publiée le 18 avril, que la direction de son parti, qui dirige la troïka gouvernementale, envisage de ‘‘prendre des mesures radicales dans le domaine de l’information dont, éventuellement, la privatisation des médias publics’’, se demandant ‘‘pourquoi les régimes démocratiques maintiendraient-ils des médias officiels?» et accusant certains médias publics tunisiens de «comploter contre la volonté du peuple’’.
Deux jours avant, le 16 avril, un élu du mouvement Ennahdha, Ameur Lârayedh, a menacé, lui aussi, sur un plateau de la première chaîne de télévision nationale de céder les médias publics au capital privé.
Face à ces déclarations graves et inquiétantes, qui menacent l’un des principaux acquis de la révolution, l’Inric, qui soumettra à la fin de ce mois son rapport général aux représentants des pouvoirs législatif et exécutif et à l’opinion publique, estime qu’il est de son devoir d’apporter les précisions suivantes :
- Toutes les expériences auxquelles l’Inric a eu accès en matière de réforme de l’information attestent que les pays démocratiques préservent et renforcent leurs médias publics et surtout leurs médias audiovisuels. C’est le cas, notamment, de l’Afrique du Sud, des Etats-Unis d’Amérique, des pays de l’Union Européenne et de l’Australie.
- Aucun de ces pays ne dispose de ‘‘médias officiels’’. Bien au contraire, ils sont tous passés de l’information gouvernementale vers des médias de service public qui contribuent, grâce à leur indépendance et leur neutralité à l’égard de tous les centres de pouvoir, à développer la conscience du citoyen quant à l’importance de la démocratie et du pluralisme dans la garantie d’un avenir meilleur pour leurs peuples.
- Les pays qui ont vécu la même expérience de transition démocratique que la Tunisie, à l’instar du Portugal, de l’Espagne, de la Pologne, de la Tchéquie et de l’Indonésie, n’ont pas cédé leurs médias audiovisuels publics au capital privé, malgré leur rendement discutable, le manque de compétence de leurs professionnels, et les critiques virulentes qu’ils adressaient à leurs gouvernants pendant les premières années de la transition. Les dirigeants de ces pays n’avaient pas hésité, comme c’est malheureusement le cas actuellement en Tunisie, à promulguer les législations nécessaires à l’organisation du secteur de la communication audiovisuelle, conformément aux critères et aux standards internationaux en matière de liberté d’expression.
- Le processus de réforme du secteur de l’information, qui a subi durant les deux dernières décennies une opération de destruction et de corruption sans précédent dans l’histoire de la presse tunisienne, ne peut réussir sans une volonté politique sincère. Il ne peut pas réussir non plus tant que des accusations injustes continuent d’être portées contre les journalistes et tant que perdurent les mêmes pratiques utilisées par les conseillers de Ben Ali pour la désignation des responsables des médias publics et la constitution de leurs conseils d’administration. Il serait plus judicieux de permettre à des structures indépendantes de procéder à un diagnostic et à un audit pour évaluer la mauvaise gestion et la corruption qui ont frappé le secteur de l’information, et d’ouvrir un dialogue sérieux avec les professionnels du secteur et les experts en vue de garantir le droit du citoyen tunisien à une information libre et pluraliste conforme aux règles déontologiques de la profession journalistique.
- L’Inric affirme son refus catégorique de ces déclarations, qu’elles soient délibérées ou qu’elles interviennent dans le cadre d’un surcroît de pression sur les journalistes. Elle estime qu’il serait plus judicieux de libérer les deux décrets lois n°115 et 116 relatifs à la réforme du secteur de l’information et de mettre en place les instances indépendantes chargées de l’organisation du secteur et de la réflexion sur les meilleurs moyens de promouvoir l’information publique qui est la locomotive sans laquelle il serait inutile de réfléchir à une quelconque réforme.»