Après plusieurs années de blocus et de censure d’internet, les Tunisiens redécouvrent le web libre. Après la révolution du 14 janvier 2011, une nouvelle tendance a vu le jour dans le pays, grâce au groupe OpenGovTn.
Par Sarra Guerchani, correspondante à Montréal.
Ce groupe composé de plusieurs membres de la société civile, mais aussi d’une trentaine d’élus, toutes tendances confondues, se veut un porte-voix de la transparence totale du gouvernement et de la participation des citoyens dans les affaires publiques.
Une initiative avant-gardiste
Durant le salon Webcom Montréal, qui s’est déroulé du 14 au 17 mai, la parole a été donnée à ce groupe tunisien. Durant une conférence intitulé «Tunisie et printemps arabe: le rôle du Web 2 dans la transition démocratique», les membres d’OpenGovTn résidents au Canada ont fait la promotion de leur groupe et des actions qu’ils mènent depuis le 4 novembre 2011, date de création de leur initiative citoyenne. Ils ont expliqué le rôle qu’a joué le web pendant la révolution et exposé l’importance du gouvernement ouvert. La rencontre a aussi permis au groupe de tisser des liens avec des personnes engagées dans cette même cause, venues d’un peu partout dans le monde.
Open Government ou gouvernement ouvert, en français, se veut une initiative avant-gardiste. Dès son arrivée au pouvoir, le président américain Barak Obama a mis en place cette initiative. Il a considéré ce moyen comme une solution pour rétablir la confiance des citoyens à l’égard de l’État. Le Québec essaie depuis au moins dix ans d’ouvrir ses données au citoyen, mais cette affaire traine, alors les personnes qui ont assisté à la conférence donnée par les deux panélistes tunisiens étaient bien surpris qu’un pays, comme la Tunisie, qui vient de faire sa révolution, était déjà mise au parfum de cette initiative. Il ne serait, d’ailleurs, pas surprenant que la Tunisie puisse y arriver avant le Québec, avec cette volonté de la population de liberté et de transparence.
Hussein Ben Ameur et Mourad Chtioui, membre actif de l'OpenGovTn au Canada.
En demande d’une démocratie réelle
En effet, le principe de l’OpenGov consiste à répondre à la demande d’une démocratie réelle au lieu de la démocratie juridique dans laquelle se confine le pays. Dans cette dernière, le rôle du citoyen est occulté et limité au simple rôle de consommateur des produits du gouvernement. Le gouvernement ouvert propose la transparence des activités, des dépenses de l’État, la participation des citoyens aux décisions qui les concerne et l’adoption d’un mode collaboratif à l’intérieur du système politique et entre ce dernier et le citoyen.
Pour donner un exemple: imaginons qu’un jour le président de la république, un gouverneur ou le maire d’une région a un problème pour gérer une affaire d’intérêt publique, ces responsables vont se tourner vers les citoyens et leur demander des solutions. Les meilleures propositions remonteront en haut puisque tous les citoyens pourront voter en parallèle sur une plateforme web. Ainsi les gouvernants pourront avancer dans la gestion des affaires publiques tout en ayant fait participer la population en se basant sur l’opinion des citoyens de façon concrète.
Le gouvernement ouvert a beaucoup fait parler de lui depuis les différentes révolutions qu’a connues le monde au cours des deux dernières années. Selon Cyril Lage, un des fondateurs de SmartGov, l’open gouvernement est la solution mondiale pour tous les indignés de la planète. «Si tout les indignés descendaient dans la rue et soutenaient les élus qui commencent timidement à installer dans le système politique le mouvement OpenGov, on déplacerait des montagne», souligne-t-il.
Cyril Lage, fondateur de SmartGov.
Ce n’est pas que pour les geeks
Même si le sujet peut paraitre élitiste, les partisans de cette cause vous diront que «ce n’est pas parce qu’il y a la technologie derrière que c’est pour les geeks». En effet, dans la déclaration de l’Open Government Partnership, [Ogp-Partenariat pour un gouvernement transparent], un organisme international engagé envers les principes relatifs aux droits de l’homme et à la bonne gouvernance: les États signataire ont écrit noir sur blanc: «Nous reconnaissons que les peuples du monde exigent des gouvernements plus transparents. Ils demandent une participation accrue aux affaires publiques, et cherchent comment rendre leurs gouvernements plus transparents, plus attentifs, plus responsables et plus efficaces. Nous reconnaissons que les pays se situent à des étapes différentes dans leurs efforts de promotion de la transparence du gouvernement, et que chacun d’entre nous adopte une approche qui correspond à nos priorités et circonstances nationales et aux aspirations de nos citoyens», indique cette lettre disponible sur le site internet de l’Ogp. Un Tunisien indigné par le système de son pays aurait pu écrire cette déclaration.
Initiative «7ell 2»
C’est donc ce que le groupe OpenGovTn essaie de faire appliquer aux politiciens de la Tunisie depuis quelques mois. Il pousse aussi les parlementaires à intégrer ce principe de transparence et d’échange avec le citoyen afin d’établir un climat de confiance entre ces deux parties.
C’est ainsi que le groupe OpenGovTn, soutenu par plusieurs organisations de la société civile tunisienne, on lancé, depuis le 14 mai, la campagne «7ell2 (littéralement: «Ouvre2»). Quatre mois après la première campagne «7ell», le groupe tunisien n’a pas été satisfait par les résultats au niveau de l’Assemblée nationale constituante (Anc). Se battant pour instaurer une transparence sans précédent en Tunisie, le groupe a soumis, le 16 mai, une liste de revendications au président de l’Assemblée. «Nous demandons à l’Anc de publier les informations et les documents relatifs aux débats et les activités de l’Assemblée et ses commissions, les votes et les résultats des délibérations des députés doivent aussi être publiques. Chaque citoyen devrait pouvoir assister à l’enceinte de l’assemblée et à ses commissions en tant qu’observateur, et, enfin, nous souhaitons que les travaux de l’Assemblée soient affichés», indique Hussein Ben Ameur, un des membres de l’OpenGovTn, résident à Montréal.
Ces conditions ont été acceptées par Mustapha Ben Jaâfar, qui a même intégré le groupe, le 14 mai. Le président de l’Anc, respectera-t-il ses engagements? Le temps le dira.
Forum de la société civile à Tunis, le 19 et 20 mai.
Conquérir le cœur des Tunisiens
Malgré les 500 membres actifs et les 5.000 fans sur la page OpenGovTn, 9.000 fans sur la page #7ell et 7.000 followers sur twitter), OpenGovtn a du pain sur la planche afin de conquérir le cœur de beaucoup plus de Tunisiens. Car sans l’implication du plus grand nombre de citoyens dans cette cause, le gouvernement pourrait éventuellement y voir un désintérêt du peuple et donc ne pas tenir ses engagements de transparence. «Dès lors que le message sera portée par l’ensemble de la société civile, les gouvernants seront obligés de prendre en considération ce sujet et de mettre la volonté qu'il faut pour avancer concrètement au delà des discours théorique d'engagement envers la transparence», dira, à ce propos, Sarhane Hichri, l’un des membres fondateurs du groupe.
Effectivement, plusieurs associations sont impliquées dans l’initiative «7ell2», afin de toucher un maximum de citoyens. Selon Sarhane Hichri, «la société civile constitue l’un des socles les plus importants à faire fonctionner en vue de constituer une véritable démocratie participative en Tunisie. Les associations, dès lors qu’elles sont organisées en tissu cohérent, ont un grand rôle à jouer pour responsabiliser les citoyens à devenir acteur de leur avenir». L’activiste ajoute que «seules les associations sont capables de faire le lien concret avec les problématiques qui se posent au niveau de chaque citoyen en terme d’employabilité, de justice, de dignité, etc.»
Des membres d’OpenGovTn ont tenu un stand au Forum du Citoyen Actif qui s’est tenu, les 18 et 19 mai, à la Cité des Sciences de Tunis.