Les adeptes de l’art urbain ont envahi un stand au Printemps des Arts. Et la charge politique se manifeste, haute en couleurs, à coups de bombes de peinture aérosol.
Par Thameur Mekki
Un tank estampillé du A, symbole du mouvement anarchiste, débarque. Munis de son arc, Cupidon pointe ses flèches sur un policier. La rage des barbus se manifeste en image. Willis, le chat, sort ses griffes et use de satire. Et un superman à forte pilosité vole à la rescousse d’un salafiste.
Cette razzia visuelle s’est emparée des murs du stand 8 du Printemps des Arts Fair, se tenant du 1er au 10 juin, au Palais d’El Abdellia à la Marsa, banlieue nord de Tunis.
La charge politique est aussi forte que subtile
Ph. Yakayaka.
Graffeurs, caricaturistes et autres créateurs imprégnés de l’art urbain y exposent. Animé par la galerie Artyshow, ce stand a amené une remarquable fraîcheur au Printemps des Arts. Il a également invité le graffiti envahissant les murs de la Tunisie après la Révolution à un cadre souvent occupé par des artistes plutôt conventionnels. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une première pour Artyshow. Nadia Khiari, galeriste responsable de cet espace, nous en parle: «Artyshow est un espace à la disposition des jeunes artistes, une sorte de tremplin qui leur offre la possibilité de montrer leur travail. Nous avons voulu, à travers le choix d’exposer du graffiti, des affiches ainsi que du graphisme ou du dessin, montrer ce que la jeune génération tunisienne produit».
Et la créativité part assez loin. Dans les fresques de Meen-One, par exemple, la calligraphie des vieilles contrées arabes se mêle au graffiti des sombres ghettos new-yorkais. Le mental anarchiste se manifeste sur un fond rouge aux motifs échappés à l’esthétique fashion de Louis Vuitton et consorts. Les univers se croisent, s’assemblent bizarrement ou se disputent paradoxalement. La charge politique est aussi forte que subtile. Exit l’existentiel. C’est le réel qui prime dans la pyramide des inspirations des artistes. La galeriste y voit-elle un risque quelconque? «Il n’y a aucun risque à exposer du graffiti. C’est un art à part entière. Le fait que le contenu de certaines œuvres soit clairement politisé est un plus. Si ce qu’ils expriment à travers leur production dérange ou déconcerte, alors oui, nous prenons ce risque», rétorque Nadia Khiari.
Cette foire artistique est un rendez-vous immanquable pour l’establishment culturel tunisien. Comment réagit-il face à ce nouveau souffle rageur proposant une esthétique qui fait ses premiers pas dans nos galeries? «Cette année, et pour la première fois, le ministère a acquis des œuvres d'artistes graffeurs. C’est bon signe et on espère que ça va continuer», nous confie Nadia.
Aficionados de l’art urbain à l’assaut des cimaises
Ph. Yakayaka.
Haute en couleurs, ces œuvres transgressent ainsi les sentiers underground pour attirer l’attention de l’Etat. Mais qu’en est-il des collectionneurs d’art? «Il est évident que les acheteurs qui misent sur des noms connus, qui voient leur achat comme un investissement ou qui veulent que leur acquisition soit décorative et aille avec les rideaux de leur salon, ne sont clairement pas intéressés par le graffiti», déclare Nadia, sans ironie aucune. Elle avoue cependant qu’«à l’heure actuelle, le marché de l’art est plutôt chaotique» et explique: «La valeur subversive de ce mode d’expression ne facilite pas les achats. Pour nous, l’espace Artyshow est un moyen de montrer ce qu’il se fait sans pour autant être dans une logique commerciale. Mais il faut savoir que les artistes ont besoin de vendre afin de financer l'achat de leurs bombes afin de continuer à produire dans la rue».
En attendant que le marché de l’art sorte de sa situation «chaotique», SK One, Sim Vandart, Kasbah Factory et autres aficionados de l’art urbain partent à l’assaut des murs et en font des témoins d’une sorte de Movida tunisienne.