Entretien avec le metteur en scène Lotfi Achour à propos de l’adaptation tunisienne de la pièce Macbeth de Shakespeare présentée, à Londres, dans le cadre des Olympiades de la Culture, volet culturel des Jeux Olympiques 2012.

Entretien réalisé par Sameh Krichah


 

Kapitalis : Commençons par cette invitation pour The World Shakespeare Festival, comment vous l’avez eu?

Lotfi Achour: Suite au succès de Hobb Story en Tunisie et en France une délégation de directeurs de théâtres et de festivals anglais sont venus à Tunis pour voir le spectacle, parmi eux se trouvais le directeur du Lift, London International Festival of Theater, qui nous a immédiatement programmé  dans son festival en juin 2010, et surtout il y avait Deborah Show, directrice du World Shakespeare Festival et artiste associée à la Royal Shakespeare Company qui m’a invité à monter un Shakespeare pour cet événement extraordinaire qui se préparait, et qui était inscrit dans le cadre des Olympiades de la Culture, volet culturel des Jeux Olympiques.

J’ai évidemment accepté, car même si mon travail a été jusque là exclusivement de la création contemporaine, il se trouve que le seul auteur classique auquel j’avais envie de me confronter était Shakespeare que je rêvais de monter. Et le faire à Londres, dans sa «maison», était évidemment très excitant.

Qu’est-ce qui vous a poussé à monter précisément ‘‘Macbeth’’?

Avec Anissa Daoud et Jawhar Basti, mes complices au sein des Artistes Producteurs Associés, nous avons relu quasiment toute l’œuvre de Shakespeare, et très vite notre choix s’est porté sur Macbeth. En effet, j’avais envie dès le départ de travailler sur «une pièce du pouvoir», et Shakespeare en a écrites des sublimes.

Nous étions encore sous Ben Ali, et Macbeth, dans sa trame, est très proche du parcours de Ben Ali: un général qui mate une rébellion et qui prend le pouvoir, en trahissant le vieux roi, et puis qui l’exerce de manière sanguinaire sous l’influence de sa femme, Lady Macbeth. J’ai donc tout de suite voulu transposer l’œuvre dans le règne de Zaba.

A l’époque, je pensais même que la pièce ne se jouerait jamais en Tunisie. Et puis Zaba est parti, donnant à cette création encore plus de sens car il devenait crucial, dans ce moment de transition, de s’interroger à travers elle sur l’Histoire politique contemporaine de la Tunisie, de Bourguiba à la révolution, et de mesurer le poids de notre responsabilité en tant qu’individus et en tant que groupe social.

Lotfi Achour à gauche avec le Macbeth team.

Comment se sont passés les préparatifs, répétitions et adaptations?

En fait, mon travail en général, et cette création en particulier, est un peu complexe car il met en jeu plusieurs modes d’expression et outils de création: théâtre, cinéma, chansons, marionnettes hyper réalistes… Ce qui a nécessité à la fois une très grande équipe et des moyens importants, et nous a posé beaucoup de difficultés dans la préparation à Tunis.

Tout d’abord parce que nous souffrons d’un vrai déficit de compétences et de savoir-faire dans les métiers du théâtre. Et fabriquer le moindre accessoire avec les exigences de la scène est parfois insurmontable.

Donc si on veut faire un spectacle qui aille au-delà des simples chaises en plastique sur scène, ça se transforme en vraie montagne qu’il faut grimper sans avoir les chaussures appropriées.

Par ailleurs, ce qui a été très dur, surtout, c’est qu’aussi bien le ministère de la Culture que le Théâtre national tunisien (Tnt) n’ont pas respecté les engagements pris avec nous, et nous ont donc mis en très grande difficulté, ce qui a failli mettre en péril le spectacle. Le premier, en divisant de moitié sa prise en charge des transports de l’équipe et des décors, alors qu’il y avait un engagement écrit par Ezzeddine Beschaouch, et que l’actuel ministre de la Culture me l’a confirmé face-à-face dans son bureau, me disant qu’il y avait une continuité de l’Etat (sic !). Mais il n’a donné depuis aucune explication ni réponse à nos courriers jusqu’à ce jour. Et c’est grâce au British Council que nous avons pu partir.

Quant au Tnt, et alors que nous avions conclu un accord de principe avec son directeur depuis février dernier, il a fait volte-face en mai et s’est dédit. Au lieu du partenariat prévu pour les répétitions et la création des lumières à la salle du 4e Art, tout ce qu’il nous a proposé c’est une location de la salle à 600 dinars/ jour. Ce qui, au-delà de l’aspect financier impossible, est extrêmement grave car les gens du Tnt ont repris exactement le même style de fonctionnement que Mohamed Driss du temps de Ben Ali, détournant cette institution de sa vocation et de sa mission publique d’aide à la création tunisienne, alors que la profession avait réussi à bannir cette manière de faire après le 14 janvier 2011.

Donc au lieu d’accompagner et de soutenir un projet qui allait représenter la Tunisie aux Olympiades de la Culture, tout à été fait plutôt pour nous mettre des bâtons dans les roues. Quelles en sont les raisons? On ne le sait toujours pas. Et si ce spectacle a pu se faire et aboutir, on le doit beaucoup, côté tunisien, particulièrement à notre amitié avec Mad’Art Carthage qui nous a ouvert ses portes pour une longue période, ou bien l’espace Ness El Fen, qui nous a aussi accueilli pour répéter un temps. Mais on le doit surtout à deux mécènes dont l’apport a été déterminant, le Groupe Vermeg et la Fondation Lazaar, qui ont adhéré immédiatement au projet et ont contribué financièrement en nous faisant totalement confiance, et nous les en remercions infiniment.

La pièce de Shakespeare Macbeth tunisifié par Lotfi Achour.

Comment les spectateurs, majoritairement anglais, ont-ils accueilli l’adaptation tunisienne de la pièce de Shakespeare?

Le spectacle était en tunisien sur-titré en anglais, et on a joué une dizaine de fois en tout en Angleterre, à Londres et Newcastle. A chaque fois, l’accueil a été vraiment superbe. On a senti qu’ils étaient à la fois très curieux et intrigués par le détournement qu’on a fait de l’œuvre.

On dit pourtant que les Anglais sont très méfiants dès qu’on touche à ce monument national qu’est Shakespeare. Mais je crois qu’on a su à la fois transposer l’œuvre dans notre réalité tunisienne et en même temps lui garder son universalité. Et ça, ça leur a plu.

La curiosité est grande vis-à-vis de la Tunisie et l’enthousiasme pour l’esthétique du spectacle nous a vraiment touchés.

Un mot de la fin, ça serait quoi?

Le spectacle sera joué au Théâtre municipal de Tunis en octobre-novembre grâce au soutien de la ville de Tunis, et nous sommes curieux de voir la réaction du public tunisien face à cette œuvre qui essaye de porter un regard sur notre histoire politique contemporaine, de manière vivante et rigoureuse. Et de donner à voir comment le pouvoir absolu pervertit les êtres et les amène souvent vers l’autoritarisme ou la dictature, ce qui me semble tout à fait d’actualité chez nous ces jours-ci.